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L’hermine et le Faucon, ennemis ou amis

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                   Ses pas lourds écrasaient la neige comme une masse aplatissant toute vie animale sur son passage. Son piège avait-il fonctionné ? Il n’en doutait pas une seconde. Des années de traque et de braconnage l’avaient aguerri sur ses pratiques barbares. Il se délectait de voir à sa merci ses fragiles proies dont il abrégeait la vie sans aucun remords.

Le charnier de quelques animaux sauvages enterrés sous une butte enneigée avait fait son œuvre, attirant dans le piège à demi-enfoui une boule de fourrure blanche. Un bout de queue noire en dépassait. Elle était là poussant un cri plaintif. D’un sourire diabolique, il saisit la fragile hermine d’une poigne gantée avec une rapidité étonnante, qu’il lâcha dans la toile fermée. Elle n’eut pas le temps de réagir qu’elle était déjà enfermée.

Grégor, le braconnier, chasseur, traqueur et empailleur à ses heures, satisfait de sa première prise imaginait déjà le scénario qu’il avait préparé pour sa deuxième victime. Mais il se délectait également de sa mise en scène finale. Son cri de joie sinistre résonna dans la clairière faisant décamper les quelques animaux à l’affut. Un jour viendra où ils lui feront payer sa cruauté en centuple. Levant la tête, scrutant l’arbre piégeur, il le vit. Son astuce se révélait presque invisible parmi les branches gelées. Un filet avec appât cadenassait une petite masse de plumes, de serres et de cris aigus. Quelques rémiges foncées coloraient le sol immaculé.

-Tout doux ! dit-il en récupérant son prisonnier. Demain, tu pourras battre de l’aile et du bec !

Le jeune faucon encore inexpérimenté n’avait pas vu le danger tissé entre les branches, le privant de sa liberté. Ses deux captifs dans chaque main, allaient droit vers leur funeste destin, la cabane de blancs rondins.

                   A l’intérieur, les portes de deux cages grillagées posées sur une immense table, se refermèrent sur eux. L’hermine se faufila dans un angle. Le jeune faucon se figea au bruit du clapet s’abattant sur sa tête. Quelques lemmings à moitié assommés leurs servaient de festin.

-Demain c’est le grand jour ! Mangez ! Gavez vous, à l’aube je serai de retour !

Dans la pénombre, la pièce sentait l’odeur de vieux fluides d’anciens êtres vivants. Des butchers aux bois usés de coups de haches et couteaux entouraient l’unique pièce. Animaux empaillés, têtes d’élan et autres mammifères plantés au mur fixaient les nouveaux à sang chaud dans l’espoir d’une délivrance.

L’aube arriva à pas de géant. Grégor, le trappeur frottant ses gros « battoirs » rapprocha les deux cages. Il souleva les trappes aux extrémités et attendit. Leur prison paraissait plus grand sans barrière. L’hermine pelotonnée dans un angle et le faucon dans l’autre, se fixaient sans bouger. Leur geôlier assis sur son billot attendit. Des minutes passèrent. Rien ne vint. Pas un mouvement.

-J’suis pas pressé les « gars », l’attente j’ai l’habitude !

Mais après quelques heures d’inertie, contrarié,  il referma les trappes et décida d’éloigner ses captifs. Séparés quelques temps, les retrouvailles seront meilleurs.

                    Quelques lunes passèrent sans visite du trappeur. La nuit, un souffle d’air doux et lent s’élevait et ondulait dans la cabane. Comme un bruissement, il se mouvait en susurrant parmi les vivants et les morts. Soudain, l’hermine se figea. Le faucon se figea. Un vent froid s’engouffra dans la pièce.

-Me voilà ! c’est décidé aujourd’hui on en finit ! Hip ! éructa Grégor en ouvrant la porte dans un hoquet, une bouteille dans une main et un bâton dans l’autre.

Les deux cages lâchées avec fracas sur le plan de bois résonnèrent dans un bruit de ferraille. L’hermine se tassa dans un coin. Elle avait forci. Le faucon se cala au fond de la cage. Il s’était remplumé. Les trappes soulevées brusquement, valsèrent à l’autre bout de la pièce. Le combat tant attendu n’allait pas tarder à éclater. Pour la deuxième fois, Il tira son billot de bois, posa sa masse chancelante dessus. Il fixa et guetta ses deux prisonniers immobiles. Ne voyant rien venir, il frappa le clapier de son bâton dont la vibration se répercuta dans toute la cabane.

-Bougez-vous, bon sang ! Arrêtez de vous admirer comme des femmelettes !

Silence.

Chose étrange, chacun des deux adversaires semblaient fixer leurs regards très loin sans se voir. Grégor alourdit par l’attente et l’alcool, d’un rictus moqueur les regardaient tour à tour, en se posant mille et une questions. Pourquoi restaient-ils figés ? Que regardaient-ils ? Qu’attendaient-ils ? Aucune réponse ne vint. Au bout de quelques heures, le temps fit son œuvre et agit sur lui comme un somnifère. Ses paupières se firent lourdes, sa vigilance filait vers le sommeil profond. Un murmure prit le relais. S’éleva. Le souffle d’air doux revint. Libéré par l’esprit des animaux sacrifiés, il ondula vers nos deux captifs.

De connivence, le Faucon se plaça alors au centre de sa prison. L’hermine sauta sur son dos. De ses petites pattes, elle poussa une partie de la cage libérant ainsi le passage vers la liberté. D’une force fulgurante, elle sauta à la gorge de son bourreau endormi en lui transperçant le cou de ses dents acérées. Le faucon l’acheva de coup de becs et de serres. Se nourrissant de ses fluides ils laissèrent le temps finir le reste et son corps desséché ressembla à ses animaux empaillés qu’il avait assassinés.

Ne jamais les sous-estimer. Leurs corps maltraités, martyrisés imprimés au plus profond de leur être, leur vengeance n’a d’égale que leur souffrance.

                                                                                                            ______ Fin ______ 

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