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La nuit où la forêt a saigné !

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Son pied nu se pose, précieux, sur le tapis de mousse émeraude. Il le reçoit dans un « ploc » spongieux gorgé d’humidité de début d’automne.

Il est tôt, presque cinq heures du matin. Nolan aime pénétrer dans sa forêt, celle qu’il appelle son toit végétal. Sa deuxième maison. Il en respire son essence, et tout particulièrement en fin de nuit avant le réveil de l’activité diurne. C’est son premier jour des vacances de Toussaint. Il n’est pas revenu depuis l’été et paré de son gros pull de laine bleu, Converses autour des épaules, il avance, sous la lumière lunaire, parmi des chênes, hêtres, arbustes et arbrisseaux.

Sa main va à la rencontre du tronc nervuré d’un jeune épicéa. Il l’effleure d’une caresse, pose l’autre main, ferme les yeux, et ressent la vie intérieure de cet autre être vivant. Différent. Soudain, il perçoit une légère vibration et simultanément un « Br zzz » strident et retentissant résonne dans ce calme apparent. Surpris, aux aguets, Il entend des craquements au loin, à environ deux cents mètres. Inhabituel à cette heure.

Que faire, il hésite, se rechausse en toute hâte. Court, ou plutôt marche vite en direction de l’intermittent son intrusif. Par le fruit du hasard, la pleine lune descendante le guide. Les branches basses et nombreuses lui livrent le passage. Comme si urgence il y avait. Les animaux ont déserté les lieux. Au loin quelques lumières sautent en l’air comme des lucioles.

Nolan gère son approche à l’allure d’un sioux. A pas de loup, Il s’oriente à distance vers les lueurs. Deux hommes, en combinaisons noires, cagoulés, casqués de lampes frontales s’attaquent à une masse sombre et longue sur le sol. Un vrombissement s’élève suivi de ce bruit entendu il y a peu. « Br zzz, Br zzz ». Ils agissent vite et avec méthode. Depuis combien de temps sont-ils là ?

Le jeune homme recule doucement pour analyser la scène devant ses yeux. Il vient de comprendre…Se plaque la main sur la bouche pour ne pas hurler d’effroi. En se déplaçant pour les contourner, son pied écrase les fruits de la forêt. Ses yeux forcent pour scruter l’environnement. Les questions se bousculent dans sa tête. Bizarre, ils ne sont que deux ?  Je ne vois pas d’insignes sur leurs vêtements ? Des voleurs de bois ? Prudence…Nolan…Prudence ! pense-t-il.

Avançant en cache-cache parmi les énormes troncs de châtaigniers et autres sublimes arbres presque centenaires, il tombe sur un espace anormalement dénudé, dégradé. Rasé de toute énergie sylvicole. Il sent que ce lieu est imprégné d’odeurs de coupes récemment déboisées. Malgré sa prudence, son pied heurte une énorme souche sectionnée en deux étages dont le pic nu s’élève vers la nuit en hurlant de détresse. Nolan s’étale au sol en fusant un :

  • Aïe !

La douleur irradie sa jambe droite. « Zut ! ». Un peu plus loin, le vrombissement s’est arrêté. Les hommes scrutent le sous-bois. Nolan allongé sur le tapis humide frisonne. La peur lui noue les « tripes ». Il tâte sa poche arrière. Son portable est là, prêt à servir. Malgré leurs hésitations, les autres reprennent leurs activités. Ils se dépêchent. C’est le signe pour Nolan de se relever. Il doit aller chercher d’autres indices avant d’appeler les flics. De toutes façons, même si la situation est dangereuse, il est déterminé. Et en tant que jeune étudiant ingénieur environnemental à Paris, il a assisté maintes fois à de nombreuses manifs et a été confronté aux jets d’eau et coups de matraque ! Alors, Il décide de faire le tour sur la droite dans l’espoir de repérer leurs véhicules. Agir vite ! L’aube pointe son nez.

Il traine un peu la jambe en dépassant la croix de Mornay. Coupe à travers taillis et jeunes pousses dont les feuilles tremblent à l’arrivée de cet intrus. Enfin, il aperçoit le chemin des trembles. Une masse imposante le bloque en plein milieu et devant elle, l’ombre d’un gros 4×4. Nolan a juste le temps de se faufiler devant le véhicule avant que les voix d’hommes s’élèvent et chargent en arrière au cul du camion plus loin.

Malgré tout, son cœur tambourine. Ses yeux scrutent le sol à la recherche d’un objet de défense. C’est là qu’il aperçoit un peu plus loin la chaîne cassée d’accès au chemin. Le pressentiment de devoir faire face à du brigandage le fait rager. Il longe le véhicule qui s’avère être une jeep noire. Se glisse, accroupi vers le camion sombre. Dissimulé derrière une énorme roue, il se lève doucement et soulève un morceau de bâche. L’odeur de billots de bois avec leurs masses bien rangées et cette persistance odeur de gasoil l’horrifie. Promptement, il repart à reculons se mettre à couvert.

C’est bien ça, pense-t-il. Il n’y a aucune signalétique sur le camion, ni de l’ONF ni d’une quelconque entreprise d’exploitation forestière du coin ! A distance, il garde un œil sur les voleurs puis saisit son portable. Cache la luminosité de son écran et compose le 17.

  • Gendarmerie j’écoute !
  • Je suis Nolan Lecour, fils Antoine Lecour le gardien de la maison forestière de l’orée d’Ecouves.
  • Oui ! Et ? Répond une voix de ténor. Parlez plus fort !
  • Je ne peux pas ! Ecoutez… et faite vite…je suis dans la forêt près du chemin des trembles non loin de la croix de Mornay. Vous situez ?
  • Oui et …
  • Lors de ma promenade matinale, je suis tombé sur des hommes cagoulés et masqués en train de procéder à de l’abattage d’arbres. Je pense en toute illégalité. Ils sont peut-être deux ou trois. Leurs véhicules, un gros camion noir bâché et une jeep noire également bloquent l’accès au chemin dont la chaîne a été vandalisée. Dans mon champ de vision, deux individus chargent leurs butins !
  • Ok ! Gardez votre téléphone allumé. Mettez-vous à couvert et attendez-nous ! N’intervenez sous aucun prétexte. C’est entendu Mr Lecour ?
  • Oui.

Les mains de Nolan tremblent. Et s’il s’était trompé ? Sa décision est lourde de conséquence. Il respire fort. Il doit prévenir Marine. Lorsqu’il l’a laissée chez son père, elle dormait encore. Elle est venue passer les vacances chez lui. Tous deux sont étudiants ingénieurs en environnement et fervents militants écologistes. Un dernier appel. Sinon je vais être repéré ! pense-t-il. Ça sonne. Sans résultat. Il essaie une deuxième fois.

  • Nolan ? C’est toi ?
  • Marine, c’est moi ! J’suis dans la forêt au chemin des trembles. Je viens de prévenir la…

Derrière lui, un « crac » résonne. Il se retourne. Tombe face à face à un individu sombre, casqué et cagoulé. Il ne l’avait pas vu venir celui-là. Il commence son sprint lorsque l’autre, massif, le plaque au sol. Une masse se lève sur sa tête et l’assomme promptement. Nolan ne bouge plus. Son portable éjecté, une main gantée s’en saisit. Un appel surgit. La gendarmerie cherche à le contacter….

Deux sifflements stridents retentissent. Le voleur court vers ses acolytes et crie d’un léger accent de l’est :

  • Les gars, on s’arrache ! Les flics arrivent ! Laissez tout le reste !

Ils ont l’air d’avoir l’habitude et ont leur code. En moins de temps, tout le matos est casé dans le camion. Le supposé chef démarre avec la jeep en jetant un dernier coup d’œil à Nolan allongé. Puis, les autres suivent avec le chargement. Tous sont décidés à prendre des raccourcis et éviter les flics.

Derrière eux, le sol est labouré du passage des gros véhicules. Les masses de bois, non encore enlevées, jonchent le sol profané. Les branches cassées et arrachées gisent par terre. La forêt saigne. Son amputation a laissé de profondes blessures.

Après un temps qui lui parait éternel et irréel, Nolan gémit. Une voix lointaine l’appelle :

  • Nolan ? C’est Marine !

Elle tente de le retourner mais la main du gendarme près d’elle l’arrête. Ils sont arrivés en même temps. Pendant que les autres cherchent les indices, lui a appelé le médecin. Elle s’inquiète. Son visage est pâle comme le jour qui se lève.

  • Aie ! Ma tête ! gémit le jeune homme en se retournant.

Il se redresse, les aperçoit. Ses premiers mots fusent :

  • Suis arrivé trop tard ! La forêt saigne.

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