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AH ZUT, LA SAINT VALENTIN !

Temps de lecture : 5 minutes

—Oh oui, zut ! C’est déjà la St Valentin !

 Assis dans mon fauteuil club, j’encaisse les images publicitaires défilant sur l’écran plat ; elles me suggèrent une multitude d’activités et cadeaux incontournables à offrir pour cette fête des amoureux. Impossible d’y échapper. Et de ce fait, pour bien enfoncer le clou, le regard bleu acier appuyé d’Huguette, bras croisés sur sa poitrine rebondie près de la commode, m’observe et me détaille sans la moindre gène.  Mon visage vire du blanc au rose. Moi, Maurice, je me mets à bafouiller en replaçant ma mèche rousse pâle comme un petit garçon pris en défaut. Marmonnant, je me dirige vers le jardin, un des meilleurs lieux pour considérer et étudier l’évènement.

 Parmi iris et violettes tapissant le gazon, mes pensées bondissent.

—Bon d’accord, il faut marquer le coup et c’est toujours moi qui ai eu les meilleures idées. Toi Guéguette, tu t’extasiais et bombais la poitrine comme une diva. Mais cette année, je songe à un peu plus d’intimité, un tête-à-tête sans chichi ni tralala, classe quand même, tu me connais !

Je parle, je parle avec des grands gestes comme un tribun devant sa foule. Sans doute ce parfum d’iris libère mon babillage. Mais au plus profond de mon être, les souvenirs des « Saint-Valentin » précédentes remontent et explosent en mille corolles.

Ah, la gabare sur la Loire !  Cette ravissante gabare avec le diner aux chandelles, il n’y avait que toi, moi et le clapotis de l’eau qui berçait la barque et nous avec. J’admirais tes bouclettes blondes sautant comme des diablotins ! J’ai même cru que la pluie nous tomberait dessus et les évaporeraient ! Et se lâcher de légers lampions jaunes, ils s’élevaient dans le ciel en se liant aux étoiles en suspens. Dans tes yeux l’effet était sidérant ! Magnifique ! Tu applaudissais comme une adolescente.

L’idée d’une croisière en bateaux mouches parisiens m’a tenté mais trop surfait, non !

D’un coup, mes réflexions s’arrêtent. Je sens le poids d’un regard lourd sur mes épaules. Huguette ? Non, c’est la vieille bigote de voisine. A l’autre bout du jardin elle me fixe de sa fenêtre d’un air torve. Zut, la commère ouvre le battant, passe sa tête de fouine et m’interpelle :

—Maurice, tu parles aux plantes maintenant !

—Pff !

 Je balaie ma main d’un signe de « dégage », lui tourne le dos tout de go et recentre le fil de mes idées quelque peu perturbés inopportunément.

—Ah ! fis-je en tapant du pied. Où en étais-je ? C’est sérieux la Saint-Valentin, m’enfin ! Ça me revient…Cette soirée dans les airs, il a quelques années, je crois que cela a été une des plus belles ! Je lui en ai mis plein la vue à Guéguette ! Mais j’ai eu du mal à obtenir ce que j’avais en tête. Mon neveu Lucas jeune étudiant en géo à l’époque m’avait suggéré les sorties insolites. Ces fameux endroits où l’on dort le temps d’une nuit dans une cabane à la cime des arbres, ou encore sur une esplanade accrochée au flanc brut de la falaise. Oh là là ! C’était osé mais tentant !

Attendez… que je m’assieds sur le banc pour vous conter la suite, je fatigue un peu ! Hé les myosotis vous écoutez ? Donc, je cherchais depuis un certain temps ce fameux lieu qui me permettrait de passer au top dans le cœur de ma belle. Et surprise, dans le journal un article attira mon attention, il précisait : « Soirée inoubliable de Saint-Valentin – Diner aux chandelles en haut d’une cabine de grue ». J’ai pris contact avec le site et vous comprenez bien que je n’étais pas le premier sur la liste ! Mais j’ai mes petits secrets en qualité d’ancien du bâtiment et j’ai réussi à faire briller les yeux de mon élue. Le lieu avait été aménagé et transformé en nid douillet pour cette rencontre amoureuse. J’admirais et buvait la joie qui transpirait de chaque parcelle de son être. Subjuguée par cette vue de là-haut, elle virevoltait dans la cabine en riant comme le soleil autour de la terre.  A ce moment-là elle m’a dit : « Maurice, il n’y a que toi pour me faire monter au 7ème ciel ! ». Là, son plus tendre baiser me fit fondre. J’en suis encore tout ému.

Bon, stop la parlotte, je dois me presser pour terminer mes achats. Ce sera fleurs et bougies car demain c’est le grand soir pour Huguette et moi.

 A l’intérieur de la maison, j’enfile ma parka, mon bonnet rouge et d’un ton sans réplique j’annonce :

—Huguette, je vais faire quelques achats ! Ne m’attends pas pour déjeuner !

Et je sors illico presto la laissant figée près du canapé comme deux ronds de flan. Dehors, c’est la course. Je cours chez la fleuriste Muguette pour réserver ma commande de roses. Mon cœur se serre et l’émotion comprime ma gorge rien qu’à l’évocation de ces fleurs. Echine courbée sous le vent, je m’engouffre dans la boutique. Les multiples odeurs et couleurs chatoyantes m’enveloppent comme dans un cocon. Nadine la vendeuse me fait signe et mes pas suivent son gracieux sourire.

—Bonjour Mr Maurice, puis-je vous apporter mon conseil ?

—Oui bien volontiers ! Je voudrais que vous me prépariez un bouquet en forme de cœur, composé de roses rouges et roses. C’est pour demain.

—Oui, bien sûr ! Celles-ci vous plaisent ?

Mes doigts effleurent leurs fins pétales. La rose poudrée soyeuse éveille en moi le grain de peau d’Huguette. Mes lèvres tremblent et laissent passer un « oui ».  Tout troublé, je m’éclipse d’un signe de la main en lui disant à demain. La fraicheur du dehors me saisit, et je me ressaisis. Direction la boutique de bougies parfumées, celle qui fait tant rêver ma dulcinée. Elle porte un drôle de nom Tipdyque ou Diptyque. Pour moi, une Saint-Valentin sans bougies, ce n’est pas une Saint-Valentin. Quelques minutes plus tard, un sourire « banane » illumine ma face. Dans ma main repose un délicat papier de soie rectangulaire entouré d’un ruban rose fuchsia d’où s’échappent les effluves de gardénia et de rose. Mes yeux scintillent. Mes joues rougissent. Comme un gamin, je rentre cacher mon présent à la maison, en évitant le regard sombre d’Huguette en tablier bleu près de la porte peu habituée à tant d’allées et venues.

On y est, c’est le grand soir. On s’est donné rendez-vous pour vingt heures dans notre lieu intime près de la place des épitaphes. Guilleret, affublé de mon plus beau costume et parka dessus, j’ai hâte de la voir et je l’imagine parée comme une princesse comme toutes les fois précédentes. Dans mon sac, les présents font connaissance au rythme des pas. Le mur de pierres de Tuffeau apparait. Je le longe avec prudence en me dirigeant vers de la petite porte de fer secrète dissimulée sous les plantes grimpantes. J’entre doucement. C’est calme. Mes pas crissent sur le sable. Le rayon de pleine lune traverse l’allée et m’invite à suivre son chemin. A droit, l’allée A. A comme amour. Attendri, je m’approche doucement. Elle m’apparait. Elle m’attend patiemment dans la nuit ténébreuse sous le clair de lune. Avec délicatesse, je lui offre les bougies dont les flammes parfumées illuminent le sépulcre et réchauffent le marbre rose. La chaleur et les lumières dévoilent peu à peu l’ovale de son visage gravé dans la pierre. A travers le cœur de roses il me semble deviner l’esquisse d’un charmant sourire.

—Bonne St valentin Huguette ! Je n’ai pas oublié.   

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Texte rectifié le 14.03.2023

4 commentaires

    • marie-christine-legrand

      C’est une première nouvelle rédigée « sans filet » et c’est avec plaisir que j’accueille ton charmant commentaire. J’ai voulu créer une ambiance joyeuse faite de souvenirs intimes pour atténuer la fin de l’histoire. L’éternelle Saint Valentin !
      A bientôt sur ton blog.

  • Geraldine Dyen

    Quelle belle histoire tu nous livres là Marie-Christine. Je me demandais un peu où tu nous emmenais puis soudain la révélation si bien amenée, tout en delicatesse, sans pathos. Du coup, je relis depuis le début et je goûte les indices que tu as discretement semés. Bravo! Au plaisir de te lire.

    • marie-christine-legrand

      C’est un plaisir de te retrouver Géraldine ! L’inspiration est venue à l’annonce de la Saint Valentin. L’idée était de faire parler un homme d’âge mûr en relatant les souvenirs de cette fête avec son épouse bien aimée. J’ai encore quelques points plus subtils à retravailler sur cette histoire.
      Merci pour ton commentaire et à bientôt de te lire également. 😍

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