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Femme

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Enfin !  Ça y était. L’heure arrivait. Comme disait le proverbe » tout vient à point à qui s’est attendre ».  Il tenait dans sa main l’écrin doré auréolé de lumière tamisée. Mylène savoura ce moment. Ses lèvres roses à demi-ouvertes retinrent un souffle suspendu au geste de l’autre. Le mystère, l’attente depuis des semaines allaient finalement prendre fin….

Quelques mois plus tôt

—Mylène, ma chérie, tu arrives à point nommé. Viens, je vais te présenter le nouvel assureur. Il a repris l’agence où nous avions feu ton père et moi, souscrit nos contrats de vie. Richard, voici ma fille Mylène.

—Madame ? Mademoiselle ? dit-il en tendant une main sûre en inclinant son buste étoffé.

—Mademoiselle ! Rectifia-t-elle d’un soubresaut ferme de tête et main tendue. Ses boucles blondes s’emballaient en tentant de s’échapper du bandeau orange trop serré à leurs goûts.

Mylène avait conscience que les yeux de l’autre scannaient sa silhouette, s’attardaient en connaisseur sur sa jupe tulipe couleur berlingot et sur les rondeurs gonflant son chemisier à fleurs. Non étonnée, elle en avait l’habitude, ce qui la surprenait, c’était le tutoiement dont sa mère Marlène avait fait preuve envers son invité. Il faudra creuser le sujet pensa-t-elle. Mais pour l’instant, elle avait tout le loisir d’observer du bout de la table, cette gente masculine empêtrée dans ses papiers dont quelques-uns avaient subi ratures et réécritures depuis son arrivée impromptue. Le beau brun à la carrure sportive, ceinturé dans son costume trois pièces bleu nuit, aurait-il perdu son assurance ? Au bout d’un quart-heure de discussion et signature avec sa mère, le classement prit fin et Richard signa sa révérence d’un dernier regard appuyé vers la jeune fille.

Quelques minutes plus tard.

—Maman, je suis surprise que tu puisses appeler cet homme par son prénom ? Je ne le connais pas ?

—Je comprends ton étonnement. Mais après la mort de ton père, j’ai eu besoin de conseil auprès de notre assureur et ce jeune homme venait de succéder et reprendre le cabinet de notre vieil ami Laurence. Ce Richard Barthes m’a tout de suite inspirée confiance. Tu sais, j’ai bien vu qu’il te trouvait à son goût !

—Hum ! Maman, c’est moi qui décide de mes préférences. Nous ne sommes plus au temps de ton époque d’après- guerre !  Les femmes choisissent et votent maintenant.

—Ah oui, ça fait deux ans que 68 est passé par là entre temps ! Dommage je vous verrais bien ensemble !

Après cette surprenante rencontre, trois jours plus tard, Mylène reçut un mystérieux coup de fil dans sa boutique de chocolat. Le chocolat, c’était tout pour elle. Jeune, elle avait décidé de faire ses cours de pâtisserie et se spécialiser dans le cacao. Ce choix de prendre sa vie en main, marié avec la douceur de ce met et la couleur chatoyante de son aspect, lui évitait de suivre le chemin de sa mère : bonne épouse modèle au foyer comme le chien fidèle à son maitre. Cette soumission-là, organisée d’après elle par la structure de la société depuis des siècles, n’aspirait guère notre créatrice. Elle avait même osé son indépendance en habitant dans un charmant appartement au-dessus de sa boutique.

Dans son atelier, aux odeurs d’épices, de cannelle, réglisse et praline, elle décrocha le téléphone noir.

—Allo ? Melle Mylène Dumont ?

 —Oui…

Hésitante, elle tenta de deviner à qui appartenait cette voix suave et chaude l’appelant à heure tardive. Elle ne lui était pas inconnue.

—Richard Barthes ! Vous vous souvenez de moi ?

—Oh oui bien sûr !

 Son cœur palpitait. Cette surprise éprouvée la troubla en la laissant presque sans voix. Perturbée, ce mot restera longtemps dans sa mémoire.

—J’ai eu le plaisir de vous rencontrer chez votre charmante mère et je voulais vous inviter à prendre un verre, si vous le souhaitiez ?

Elle avait répondu « oui » d’un accent de jeune collégienne perdant ses moyens. Ces vingt-trois printemps ne la préparèrent pas au tourbillon d’émotion qui allaient survenir les mois suivants.

Le lendemain, décidée à reprendre le contrôle de la situation, elle arriva au rendez-vous fixé par le beau Richard, largement en avance au pub situé en face de sa boutique. Ces quelques minutes lui permirent de calmer ses battements de cœur et apaiser le stress du tête à tête. Ses yeux couleurs chocolat fixaient l’entrée. Inconsciemment, elle humidifia ses lèvres roses d’un soupir. Enfin, l’arrivée du grand brun, d’une démarche assurée, habillé d’un élégant costume de belle coupure et sans cravate fit tourner les têtes.

—Mylène ! Permettez que je vous tutoie ? dit-il tout de go en lui donnant le baise main.

Un peu décontenancée, ses fossettes rougirent. Elle se sentait fondre comme des friandises chocolatées. Les yeux brillants, elle but les paroles de Richard. Il avait le don de charmer la jeune fille comme s’il la connaissait depuis longtemps. Et c’est dans un état second qu’elle quitta le café avec deux baisers sur ses joues et la promesse de se retrouver les jours suivants.

Leurs rencontres se succédèrent et leurs corps se rapprochèrent de plus en plus. Mylène vivait ce tourbillon de sensations nouvelles. Entre sa boutique et ses amours, le temps ne lui appartenait plus. Il avait tissé autour de leur amour une fine toile dont l’emprise subtile l’enveloppait de petits mots et gestes nouveaux. Lors d’une conversation entre amis, il avait déclaré :

—Ah une fois mariée, je demanderai à mon épouse d’arrêter de travailler pour fonder un foyer. C’est encore la meilleure place pour la femme. Le foyer est sa sécurité.

Des « Oh » et des hochements de tête réagissaient. Mylène fronça les sourcils. Elle ne se sentait pas en phase avec cette soumission imposée par son amant. Puis, les semaines suivantes, il commença à l’appeler régulièrement lui susurrant des mots doux tout en lui demandant habilement des comptes sur ses journées. Et c’est un soir, sous le prétexte de partir quelques jours en déplacement, qu’il lui suggéra de dormir chez elle afin que la séparation soit moins douloureuse. Habilement, il avait apporté le champagne pour fêter leurs six mois de rencontre et servit des huitres, le met préféré de Mylène. Au fur et à mesure qu’elle fondait devant tant de gentillesse, lui gagnait en assurance et distillait subtilement ses remarques exigeantes et quelques tapes aux endroits bien placés sur son corps sous couvert de gestes chaleureux et fraternels selon ses dires.

Que faire, que dire ? Prendre conseils auprès de sa mère ? Elle n’eut pas besoin de l’appeler, même là, la situation lui échappait. C’est Marlène qui le fit et en profita pour déclarer :

—Ma chérie, je suis contente pour toi ! Tu sais quoi, Richard m’a demandée mon autorisation pour demander ta main !

—Oh ! Dit la jeune fille paniquée.

Mais sa mère avait mal interprété son étonnement et c’est en conseils et félicitations qu’elle inonda la conversation. Et pour renforcer le clou, même son amie de longue date, la félicita (elle était déjà au courant par Richard) et la combla d’éloges sur le futur marié.

Un mystérieux et dernier évènement anéantit Mylène. Ce coup de fil anonyme. Une femme, une mère plus exactement lui dicta ses mots :

—Faites attention à vous ! Ce Richard Barthes est un être dangereux et machiavélique. Prise dans ses filets, vous ne pourrez plus lui échapper. Ma fille en est morte ! 

Ces mots résonnèrent longtemps après le bip de fin de conversation.  

Enfin, cela faisait des jours qu’elle espérait ce moment. Il était là en face d’elle à savourer le verre qu’elle lui avait préparé en femme soumise.  Le souffle de Mylène montrait des pauses. Allait-il se décider ? La main de Richard prit l’écrin doré. L’ouvrit. Le tendit dans un large sourire vers la jeune femme. L’émotion la gagna. D’un léger tremblement, elle prit le carré brun situé dans l’angle gauche. Lui se délecta du petit carré fondant cacao noisette. Quelques heures plus tard, la face rouge, la main sur la gorge, Richard Barthes passa de vie à trépas sous l’effet de l’aconit devant les yeux brillants de Mylène.

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