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LA COUPE MEURTRIERE (Relecture éditoriale et créative)

Temps de lecture : 4 minutes

— « Matthieu ? Je t’appelle par ton prénom ? »

— « Oui… inspecteur ! »

—Je suppose que tu es pressé de sortir de ce commissariat !

Chacune de ses déglutitions résonnait et faisait écho à son battement de pied. Matthieu était prêt à déguerpir. Ses larges mains se camouflaient sous ses cuisses sportives ; paluches crispées aux jointures blanches qu’accentuait la couleur violacée des griffures du dessus. Ses sourcils roux en forme de vagues reflétaient son trouble. Le jeune dardait de ses yeux verts glacés l’Investigateur d’en face. Il était également cerné de murs gris et froids où filtrait une seule fenêtre à barreaux traversée par un pâle rayon lumineux poussiéreux. Il avait l’impression d’être dans un bureau de la Stasi.

Intensifiant cette ambiance, l’inspecteur Vincent Bollaert réputé pour ses interrogatoires musclés, questionnait sans préambule. Il orientait à charge, semant le doute, en déstabilisant le suspect. Ce procédé qui avait fait ses preuves, lui collait à la peau. Tout en lui intimait le respect. Un mètre quatre-vingt-quinze, visage taillé à la serpe et regard bleu perçant, il mâchait inlassablement ses Cachou et triturait sa boite jaune lors d’audiences dont seul l’odeur anisée enveloppait l’espace exigu.

 —Sois clair, concis et allons droit au but ! Explique-moi ce que tu faisais penché sur le corps de ton collègue tes doigts prêts à saisir le sifflet ? Car c’est comme ça que le gardien t’a trouvé ? Tu étais le premier sur la scène de crime !

Quelques heures avant cet interrogatoire, au stade Sordelo, aux environs de midi, un drame bouleversa le futur match de foot. Le stade vide de public enfiévré, baignait dans un voile de brouillard peinant à se lever. Dans le Club house gisait le corps du jeune arbitre principal Alois Quinton. Tête désarticulée, sous un lit de sang à l’odeur métallique, de sa bouche en rictus figé,  s’écoulait un filet rouge dont dépassait un sifflet brillant planté entre ses dents. Le message était clair : il ne sifflera plus celui-là. C’était dans cette pièce fraiche et sombre de coupes éclatantes relatant les exploits de ce prestigieux club sportif de la région, que le jeune Matthieu avait découvert Aloïs.

— « Oui ! Je vérifiais s’il respirait ! Ce n’est pas un crime ! Agacé, il balaya la question d’un geste de la main. Et le gardien ? Il était là lui aussi ! »

—Ouais ! d’un claquement de langue Bollaert enchaina. D’après mes infos vous aviez déjà arbitré ensemble et aujourd’hui tu officiais en touche. C’est pas vraiment un poste que tu affectionnes n’est-ce pas ?

Silence pesant, l’inspecteur monta d’un demi ton :

—Même qu’à deux reprises tu as violenté Aloïs jusqu’à en venir aux poings ! T’as écopé d’un blâme ! Ça donne des envies de meurtre !

—N’importe quoi !  Sa face rouge faisait ressortir ses cheveux carottes. Plus d’une fois il ignorait les fautes signalées, prétextant la fluidité du jeu ! Alors on s’expliquait…

—Et tu l’as effrayé avant de commencer ce match. Tu as la réputation d’un impulsif ! Vous vous êtes disputés. Tu lui as coupé le sifflet en lui fracassant le crâne avec une coupe. Où l’as-tu mise ?

—Vous délirez ! Et le gardien, c’est lui qui ouvre le stade ? Et Clément, l’autre arbitre ? Ah Scotland Yard en action, je sens qu’on va atteindre des sommets !

—Scotland Yard ou pas, en attendant tu vas réfléchir en cellule ! Je vais interroger ton collègue de touche. On verra ce qu’il a à dire celui-là aussi !  

Dans un grognement, Matthieu s’en alla au frais réfléchir, non sans avoir toisé l’inspecteur d’un regard vindicatif.

Pour Bollaert, les premières impressions étaient déterminantes. Le gardien bossu interrogé au début de l’enquête avait affirmé avoir entendu quelqu’un courir vers la sortie du stade. Un fil de coton bleu était resté coincé au montant du vestiaire ainsi qu’une légère trace de bout de chaussures laissant sous-entendre un départ précipité.

Clément arriva pour l’interrogatoire. Vingt-six ans, un an de plus que la victime, il arborait un visage anguleux dont l’allure invincible démontrait un physique gymnique. Il entra dans la pièce d’une démarche autoritaire. Regard vif auréolé d’une estafilade, il fixa l’inspecteur d’un salut énergique.

 La question fusa :

— Pourquoi ton retard ? Normalement vous arrivez deux heures avant le match ! Pour l’échauffement, les contrôles et la victime y tenait beaucoup ! C’est le sérieux de l’arbitre qui est en jeu.

—Ma voiture en panne, j’ai emprunté celle de mon frère. Sa voix suave, assurée faisait effet d’un somnifère.

 L’inspecteur enchaina sur le nouvel élément qu’on lui avait remis quelques minutes plus tôt.

—Tu as une fiat blanche nous précise le gardien ?

—Oui mais elle était en panne !

—On vérifiera car une fiat blanche est sortie à vive allure du stade avant midi ! Le pansement sur ton poignet gauche, un accident ?

L’assurance de Clément fondait comme neige au soleil.

—Ok ! pour toi, Alois gênait. Vous étiez tous les deux en compétition pour monter en ligue professionnelle. Un témoin t’a entendu le menacer ! La réussite ça exaspère jusqu’à pousser au crime !

—Je ne l’ai pas tué ! C’est vrai je lui ai demandé d’attendre une année pour proposer sa candidature. Mes résultats étaient meilleurs que les siens. Et passer en ligue 1 était vital pour moi ! Et puis, je suis arrivé la police était déjà là !

—On vérifiera. En attendant tiens-toi à notre disposition.

L’inspecteur Bollaert était tellement focalisé sur la culpabilité du jeune Matthieu qu’il ne vit pas le léger rictus de satisfaction qu’arborait Clément en passant la porte, ni le léger accro à la manche de son blouson. Sans tarder, Bollaert avait décidé d’arrêter le jeune arbitre Matthieu pour le faire passer aux aveux. 

Quelques heures plus tard dans une ruelle sombre, une main gantée d’où sortait un pansement lançait une coupe ensanglantée dans un container crasseux.

                                                                                                                                     — & —

2 commentaires

  • mijoroy

    Un interrogatoire concis, qui maintient le lecteur dans l’ambiance tendue de la pièce, un peu comme un huis clos. Les descriptions apportent avec le vocabulaire choisi de l’épaisseur à la tension qui s’installe entre Bollaert et les suspects. Tu sembles très à l’aise dans le genre policier. 🙂 Ton texte est bien construit, fluide et le fait d’enlever les « il dit, il répondit ect..;) apporte du rythme aux échanges. Joyeux Noël.

    • marie-christine-legrand

      Bonsoir Marie-Josée
      Je te souhaite une très bonne année 2023 ! Quelle soit prospère en écriture et riche d’inspiration !
      C’est intéressant de reprendre d’anciens textes pour pouvoir les remodeler et les enrichir, c’est là que le travail de la réécriture prend tout son sens.
      Merci à toi et à bientôt 😀

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