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Coup de Théâtre de Mercedes

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Sur la route sombre et boisée la mini Austin noire laquée file à vive allure vers la villa des Bleuets. Minuit bien sonné, les quelques demeures bourgeoises de la périphérie de Montauban ont déjà baissé leurs pavillons lumineux. Seul le jacassement d’Anne-Sophie De Trébuchet résonne dans le minuscule habitable austinien, dû sans aucun doute aux nombreux verres d’un couteux Montrachet, qu’elle a siroté comme une pocharde chez leurs meilleurs amis.

Au vue de l’état d’ébriété de son épouse, De Trébuchet avait pris le volant d’une mimique dégoutée.  Conduire cette caisse à savon comme il l’appelle, le fit regretter d’avoir laissé Mercedes, sa merveille, au garage avec le sentiment de la tromper. 

-Charles-Hub, Henri a plutôt bien pris le licenciement de son neveu ?

-Hum ! Un connard fainéant celui-là ! j’suis sûr qu’en plus de son insubordination, il a piqué l’outillage ! Le fumier, dans mon entreprise !

-T’as raison quel bouffon ! Bon débarras ! Lui et sa clique de cheveux bleus et de piercing trouaient l’image de ta boîte !

-Carrément !

Les épais sourcils de Charles-Hubert surmontés d’un front proéminant, accentuaient les rides frontales d’une cinquantaine bien marquée de responsabilités, contrairement à son épouse dont les liftings avaient effacé toute trace d’âge. Il se gara aisément et fila sans attendre du côté de l’appentis en déclarant :

-Je jette un œil à Mercedes et j’arrive.

-Mercé… Ah, oui ! Ta voiture ! Pff ! Relou avec ça !

La relation affective qu’entretenait son mari avec ce véhicule la dépassait. De là à penser qu’il en était amoureux ? Elle fut surprise d’y penser ce soir. L’alcool lui aurait ouvert l’esprit ?

Toute concentrée par le rituel démaquillage nocturne d’une lotion miraculeuse, elle sursauta au son strident venu du dehors. Piqua un sprint hésitant vers l’appentis. Là, le vide, juste les traces d’une auréole noire sur le sol.

-On a volé la Merco !

De rage, il tapa du poing, ébranlant le portail d’un son infernal.

-Aie! Abruti ! Ma tête ! Du calme Charles !

Les traits tirés de Trébuchet, le regard fou prêt à tuer, la chemise immaculée dépassant du pantalon flanelle bleu, ternissaient considérablement le personnage et d’une voix saccadée lança :

-Prépare-toi, j’appelle la police et on part faire une battue !

-T’as vu l’heure ?

Laissant sa femme sans réponse aux milieux des pétunias endormis, il alla passer son humeur avec la maréchaussée.

-Allo ! Charles-Hubert de Trébuchet de la villa des Bleuets, je viens signaler le vol de Mercedes. Oui ! ma voiture ! Oui ce soir ! Non pas de vidéos ! Comment ça ? Que demain matin ? Pas avant ? C’est un comble ! Puis il raccrocha fulminant contre cette bande de fonctionnaires plus accros au numérique qu’au terrain.

Quelques minutes plus tard, nos deux délaissés, parqués dans la mini encore imprégnée d’effluves d’alcool, parcoururent les rues environnantes à l’endroit comme à l’envers. Leurs petits yeux d’ours mal léché scrutaient les autres berlines de standing subalternes d’un profond dédain. C’était évident, Mercedes s’était fait la malle, mais avec qui ?

Las de vaines recherches, Trébuchet (sans tomber) s’avoua échec mais pas mat, laissa ce rôle ingrat de patrouilleur à la police locale. La nuit déjà bien entamée, chacun pris place de chaque côté du lit conjugal, ruminant des hypothèses sur tant d’injustice à leur égard.

-Les enfoirés ! Suis sûr que c’est un coup de la concurrence ?

-Tu crois ? Remarque, les deux seuls cons à chercher une voiture, c’était nous !

-Oui ! La boîte marche bien, la concurrence féroce, facile de payer des p’tites frappes pour voler et affaiblir l’adversaire. Et, l’autre, le cégétiste élu haut la main, j’le sens pas ! Dans mon entreprise ! Tu te rends compte ! Salariés ingrats !

-Putain quelle nuit ! Dormons, ça porte conseil !

Présentement, elle le fut. Lorsque Anne-Sophie, parée de rose flashy, sortit au pas de course, ne sacrifiant en rien son jogging matinal, elle tomba nez à nez sur Mercedes abandonnée sur le perron. Un oh, encadré de deux mains manucurées fusa de sa bouche vermillon.

-Charles, la Class est revenue !

Devant cette apparition aussi miraculeuse que douteuse, le visage de Trébuchet se para de mille couleurs. Les bras levés d’un geste théâtral, il fit le tour entonnant sa réplique : Ah ! Mercedes ma puissante, mon élégante, ma victoire, pourquoi tu t’en es allée ? Pendant que Monsieur n’avait d’yeux que sur sa belle, Anne-Sophie plus rationnelle, visa une enveloppe sur le pare-brise et l’ouvrit. Ensemble, collés au véhicule de peur qu’elle se fasse la malle une deuxième fois, ils lurent cette note : « Une urgence nous a contraint d’utiliser votre Mercedes. Nous sommes désolés de cet emprunt si soudain. Acceptez toutes nos excuses et en dédommagement, nous avons le plaisir de vous offrir deux places pour la célèbre pièce du Mariage de Figaro. Mille pardons. ».

Pendant que Charles ne tarissait pas d’éloge sur la délicatesse du geste si peu ordinaire, son épouse aperçut sur le siège conducteur un minuscule reste de boucle d’oreille. Prestement elle s’en saisit le mettant dans la poche d’un air songeur car était coincé dedans un cheveu coloré.

-Tu en conviendras, Anne-So, on se croirait au théâtre ! Ma beauté est de retour !

-Ouais…

L’incident étrange mais somme toute bénin, ne les empêcha pas trois semaines plus tard, de se parer d’une somptueuse robe mousseline, d’un smoking et de nouvelles jantes pour assister à la fameuse pièce au Théâtre Olympe de Gouges. De retour à minuit, leur sourire enchanté retomba comme un soufflé. La porte d’entrée était légèrement ouverte. Ils entrèrent prudemment et virent l’intérieur vidé de toutes substances. Un message, de même nature que le premier, placardé sur le mur nu disait : « Nous espérons que vous avez aimé la pièce ». 

Charles-Hubert accroupi et anéanti, ne vit pas son épouse reculer discrètement à pas feutrés vers la rue où l’attendait une centaine de mètres plus loin une silhouette paré de piercings, au volant d’une Mercedes.

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