Nouvelles

L’éphémère et mortel

Temps de lecture : 4 minutes

Avignon le 31 mars 2008

Madame Le Calm 

Places des Etudes

84000 Avignon

A

Monsieur le Commissaire DEWAERE   

 Préfecture de Police  

75004 Paris                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

                                                                                                             

                                                                             

Objet : Analyse livre ancien

Monsieur le commissaire,

Je viens vous informer de mes investigations concernant notre livre ancien « La Coena Cypriani » qui me semble associé au décès de mon mari François Le Calm survenu en début d’année. Ce livre fait déjà l’ouverture d’enquête auprès de vos services mais aussi dans d’autres pays pour décès d’un proche.

Antiquaires dans cette ville, il y a quelques mois à Turin nous faisions l’acquisition de deux livres de cette œuvre attribuée à Cyprien poète du Ve siècle, lors d’une vente aux enchères d’une vieille librairie turinoise. L’un destiné à un futur acheteur, et l’autre celui que François commença à lire le 1er janvier.

Dès le début, sa ferveur de lire cet ouvrage accapara son temps de loisirs et même, différents jours, les nocturnes. L’euphorie le gagnait. Les coups de fil à son ami historien à Berne lisant le même ouvrage acheté sur EBay, étaient ponctués de « couleur jaune ? », « elle change en laby.. », « quelles conclusions tu en déduis », « renversant ! ». Je remarquais quelques fois ses yeux dilatés et la rougeur de sa face lors de ses lectures intensives, mais pour ce passionné qu’il était, cela me paraissait normal. Lorsque j’évoquais l’idée de participer à sa lecture, il me répondait « Patience, lorsque je l’aurais terminé, c’est-à-dire dans deux jours, je te révèlerais l’impensable ».

Dans la nuit du 31 janvier 2008, assis devant son bureau de travail, pièce dans laquelle il préparait ses œuvres d’art, je le découvris inanimé la face légèrement crispée en rictus. Il avait succombé à une crise cardiaque sans signes avant-coureurs selon les conclusions du médecin. Devant lui, la table était vide et le livre disparu.

Ma douleur et cette mort soudaine ont motivé mes recherches. Avec l’aide d’un ami détective privé spécialisé dans la filière « objets d’art anciens » un élément nouveau m’est apparu. Il a été négligé à l’époque mais je pense qu’il a son importance. Il révèle que, lors de sa prise de sang de routine le taux de troponine (enzymes cardiaques) était légèrement modifié à la hausse, on était mi-janvier et François avait commencé sa lecture. Fait troublant, le même constat était fait pour un autre ami, professeur agrégé d’histoire à Paris décédé d’un soudain accident de circulation et ce, le même jour qu’il achevait la lecture de l’ouvrage.

Autre détail, des traces d’un aspect cireux parsemaient la table de travail de notre atelier. Celle où reposait La Coena Cypriani disparue, j’ai relevé des résidus dont le goût amer révélait, après analyse, une infime dose de digitaline (Cf. analyse jointe).

 Vous vous souvenez du deuxième livre acheté à Turin, je l’ai retrouvé dans l’atelier-boutique. En collaboration avec un ami docteur en radiologie, le livre fut scanné et plusieurs clichés réalisés.

Un premier indice peut indiquer le lieu géographique de la copie de cette œuvre rare. Les moines copistes ont utilisé l’encre jaune. Hors c’est en Italie avec le gris que cette couleur était employée. L’Angleterre, et l’Allemagne se servait du noir ou brun.

Puis un des clichés laisse apparaitre une graphie onciale composée de paragraphes et de lettres latines sans espaces. Le décryptage de quelques mots s’est avéré difficile mais voici ce qui est noté : ludis (jeu) – designare (designer) – lectorem (lecteur)-cena (la cène). Après cette liste étrange, l’affaire se complique au vu du peu de moyen dont nous disposions. Est-ce la manipulation de l’ouvrage ? Quoi qu’il en soit un « clic » s’est enclenché à l’intérieur. Surpris mais avec une équipe vive d’esprit, une nouvelle imagerie fut faite. Un tracé sinueux avec des embranchements et des croisements apparut. Sans aucun doute, il s’agissait là d’un début de parcours de labyrinthe. Puis une nouvelle description de mots insérés parmi d’autres retint toute mon attention : occidere (tuer) – labyrinthus (labyrinthe)- mortis (mort).

Avec ces éléments, une hypothèse parmi d’autres peut s’amorcer sur le « livre tueur ». Cette copie de l’œuvre de Cyprien faite en Italie doit décrire ce fameux festin bouffon de la Cene puisqu’on en trouve des traces d’écriture. Mais avec de l’imaginaire, de l’obscur, le copiste y a inclus une sorte jeu de piste sous forme de labyrinthe – au moyen âge il représente le chemin de l’homme vers dieu- ici à l’issue mortelle. Il me semble plausible que pages après pages des révélations surprenantes furent dévoilées libérant une partie du labyrinthe et également une fine couche de cire non visible. Le lecteur avide de connaitre la suite n’avait de cesse de continuer. Une fois achevé, le poison de l’information ou bien le poison chimique distillé jour après jour faisait son œuvre. Le livre devait certainement, après décryptage, demandé à être détruit.

Je vous confie donc, Monsieur le Commissaire, ce livre très précieux à analyser avec précaution. J’espère que mes investigations fusionnées aux vôtres, permettront de résoudre l’affaire Coena Cypriani pour moi et pour les autres familles.

Cordialement,

Le Calm Sophie

2 commentaires

  • Mijo

    Consigne très difficile dont j’ai pu lire plusieurs version. Je souligne l’énorme travail de recherche que tu as dû opérer. J’ai aimé la façon énigme sur laquelle tu t’es appuyée. Introduire des mots en latin est un formidable ressort pour rendre ton histoire crédible et attractive.

    • marie-christine-legrand

      Bonsoir Marie-Josée
      Merci d’avoir pris le temps de venir lire cette nouvelle basée sur l’ouvrage appelé Coena Cypriani, il a fait couler beaucoup d’encre. Ce qui est intéressant dans ce genre d’histoire c’est que l’on a la possibilité d’imaginer pleins de scénarios possibles.
      A bientôt de te lire sur ton blog.

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