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L’éternel Pacha

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Extrait 1 Version corrigée

-Léo ! Le surnom que l’on me donne. Pfff !

Mes maitres m’ont affublé de cette sonorité impossible à retraduire dans mon code de chat ! Ils scrutent mes réactions et tentent d’infiltrer mon cerveau pour décoder et se demander à quoi puis-je bien penser ? Pour sûr, je ne donnerais pas ma langue au chat !  Hi ! de l’humour j’en ai aussi. Ils sont maladroits. Ah les homo-sapiens, savent-ils que je les appelle ainsi ?  Il leurs suffit de quelques matières grises supplémentaires –en poids, évidemment- pour que leur outrecuidance me fasse gentiment sourire. Mais elle, je l’aime bien. Son odeur de fleurs, ses mains lisses et effilées se glissent à pas de loup vers mon antre et susurre :

-Léo a quoi tu penses, mon chat ?

– Voyons ! Les chats ne pensent pas, tu le sais bien chérie, ils se laissent vivre !

Chut !  Ne réveillez pas le chat qui dort ! J’ouvre un œil, tend l’oreille, est-ce bien à moi qu’elle s’adresse ? Car bien sûr, l’autre, le grand, avec sa voix de chien enroué, elle l’appelle aussi « minou-minou » ! Je prends mon temps, car je l’ai contrairement à eux, la regarde les yeux dans les yeux, une petite flamme brille dans son regard, j’allais lui parler puis…

-Chérie dépêche, on va être en retard !

Voilà, à quoi bon répondre, il y a longtemps que j’ai arrêté, mes amis chats aussi ont arrêté. Ils ne nous comprennent pas. Elle et lui toujours pressés, ils regardent constamment leurs poignets ou leurs petites boites électroniques dans leurs poches ou encore cette grosse horloge sur le mur.  A notre réunion des chats anonymes, nous nous accordons à le dire : ils sont bons qu’à s’occuper de notre confort. Pas besoin de réclamer, moi je les ai disciplinés !

Ils anticipent tout : de la tasse de lait à l’eau fraîche jusqu’aux petites billes multicolores qui carillonnent en tombant dans mon bol. Un vrai Pacha ! Depuis des lustres et des lumières, nous nous laissions dorloter, bichonner dans un certain confort douillet, libérés des contingences matérielles et bassement humaines.

A ce propos, je l’ai observée l’autre jour me confectionner avec plaisir et concentration le joli moelleux jaune sur lequel je suis assis. Elle y a mis tout son amour et beaucoup de caresses. C’est d’ici, bien tapis sur lui que je suis le mieux, au plus profond de ma solitude, enroulée autour de ma chaleur, transporté dans une autre dimension et accompagné de mes pensées félines. Plus besoin de miauler, d’ailleurs si elle se le demande encore, par contre, ses cajoleries, je les adore. Prodiguées depuis ma tête jusqu’à ma queue, stimulé par son odeur et à l’image d’une vague naissante, j’ondule de joie en un léger « ron » pour ses caresses aiguisant mon appétit.

Mais je l’entends encore me dire :

-Tu es bizarre Léo, tu ne miaules jamais ? Mon adoré matou !

Je vais vous révéler un tragique secret. Au temps passé, celui du moyen-âge, les humains nous pourchassaient prétextant que nous servions les forces occultes. Notre mysticisme et notre miaulement les intriguaient, et dès qu’ils croisaient un chat, noir de surcroit, se signaient en se croyant terrassés par le malheur. Souvent associés à l’animal favoris des sorcières, nous étions traqués, cloués au piloris sans autre forme de procès. Depuis, les hommes ne l’apprirent qu’assez tard, ils se rendirent compte nous nous étions tus, nous faisant aussi discrets que nos ombres. On ne va pas en faire un drame, nous n’avions jamais été bavards de toute façon.

Ma communication posturale en dit assez long. Je m’étire promptement. Saute de mon perchoir. Traverse en flèches le salon. Poussez-vous, j’ai d’autres chat à fouetter. Ebahie, « Fleur de caresses » (ma maîtresse) surprise d’une telle vivacité, le tout sans un son, est clouée sur place comme deux ronds de flan. Bavarde habituellement, elle a rejoint ma devise : silencieuse est ma nature dans ma beauté tranquille.

Ma quoi, ma beauté ? Un brin de toilette s’impose pour retrouver ma douce Caramel à l’odeur subtilement sucrée, son pelage orangé attire mes pas sur le toit brûlant. Buffet de câlins à volonté, la descendance sera assurée.

Malin, je le suis ! Car moi et ma lignée de congénères avions eu tout le temps de penser. Et vous savez à quoi ? Approchez, je vais vous le chuchoter : ne pas mourir ! Nous avions l’art d’éviter la mort. Ah ! bien sur certains d’entre nous avaient été emportés par quelques maladies pernicieuses. D’autres comme le chat voisin, ce fameux Swan turbulent, bagarreur s’était cru plus immortel que nous. Il a terminé sa course sous les roues du trente-huit tonnes. Aïe ! ça fait mal !

Déjouer la mort, ne plus mourir, une énigme pour les humains.  Fleur de caresses, ma maitresse, se pose encore la question sans y trouver de réponse. Elle me dit parfois :

-Tu as quel âge Léo ? Tu étais dans cette maison bien avant nous ?

Evidemment, elle attend encore la réponse même si je l’aime bien je ne vais pas lui dévoiler mon secret. Bien sûr, je sillonne cette bâtisse depuis fort longtemps et j’en ai vu passer des bons et des méchants. Celui que je regrette le plus : c’est papy. Assis devant son éternel feu de cheminée, nous nous comprenions à travers ses caresses, pas besoin de parler. Un jour il s’en est allé. La mort l’a emporté et une larme a coulé sur mon nez.

Ah ! Bavardages ! Bavardages ! Zut ! je fais l’humain là ! J’arrive bientôt à la fin de cette histoire, car pour vous humain il faut toujours une fin. Pas pour moi, à force d’y penser, mes congénères et moi avions résolu la notion de temps. Il n’avait pas d’emprise sur nous. D’ailleurs, regardez moi, je n’ai pas pris une ride.   

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