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ZET ET ZOE LA PROMESSE (12-14ans)

Temps de lecture : 4 minutes

-Tu es bien excitée Léa !

-Oui, Papy Max ! Chut ! Tu n’dis rien à personne ! Je kiffe Théo ! Mais on sera plus dans la même école à la rentrée ! C’est nul ! Alors on s’est fait une promesse.

-Une promesse ? Quoi exactement ?

Léa, douze ans, espiègle et délurée, plisse son front en bombant ses joues remplies de taches de rousseur. Hésite et se lance.

-Un secret, c’est un secret. Et elle montre son doigt. T’ul gardes pour toi ? Tu es mon ami.

 La main de Papy se lève et tchek Léa, dont la main est déjà décorée de stickers tribal.

-On s’est embrassé. Tu vois ? Comme les grands ! dit-elle en chuchotant, mais ce n’est pas assez fort. On veut se marquer !

 Il sursaute. Ça lui rappelle de lointains souvenirs.

-Je l’ai vu dans un film d’amour. On va graver nos initiales ! Cachées dans nos poignets ! Easy ! Trop cool. Surtout, dis rien aux parents ! Ils seraient vénères ! Secret !

Papy Max soupire. Passe sa main dans ses cheveux. Se racle la gorge.

-Tu sais, des secrets c’est bien mais ça peut finir en « cata ». Se marquer, tailler sa peau c’est dangereux. Je vais te confier ce qui m’est arrivé lorsque j’étais étudiant en médecine. Léa, coudes posés sur ses genoux, est impatiente d’entendre. Son papy est imbattable pour raconter ses aventures.

Il faisait chaud, très chaud. Je révisais mes cours de médecine, comme mon père avant. Tellement concentré sur le corps humain, d’un coup, je sursautais. Qui déboula devant ma fenêtre ? Une tête blonde avec des cheveux en pétards, un visage rouge comme une pivoine mûre, en short vert et tee-shirt froissé, toute essoufflée : ma cousine Zoé. En pleurs, toute affolée, elle me fit peur.

– Oncle Max ! Rapplique ! Zet mon ami, je crois qu’il bouge plus ! Viens voir, j’arrive pas à le réveiller ! Prend ta voiture !

-Comment ça, il est évanoui ?

-Vite ! On est à la cabane de pêche. Puis elle fila comme une flèche sur un vélo trop grand. Elle était intrépide à presque quatorze ans.

-Hé Papy, il était mort le gars ? fit Léa étonnée.

-Attends ! Tu vas comprendre la suite.

Je pris mes clics et mes clacs, sans oublier ma trousse médicale, puis direction la jetée, vers la cabane de pêche 166 de mon oncle Tabouriech. Un mec coléreux qui balançaient des claques à tout va. Violent depuis qu’il avait perdu sa femme. D’un bleu pâle et blanc écaillé, je la repérais facile, seule devant un bassin de coquillages. Ça puait tellement la boue à cause de la chaleur que je m’en pinçais le nez. Sniff ! Sniff ! ce son sortait par la porte en bois laissée entrouverte.

Sapristi ! Allongé sur le plancher, le jeune Zet ne bougeait plus. Maigre comme un clou, son visage était tout blanc. Bon sang, je me fis la réflexion en passant ma main dans les cheveux.  Sa tête blonde posait sur un filet de pêche roulé. Un mouchoir fleuri, humide couvrait son front. Un peu de rouge avait coulé sous son poignet droit.  Zoé tentait maladroitement du bouche à bouche pour le réveiller. Un méli-mélo de filets, d’épuisettes, de poches métalliques, de tuiles s’entassait ici. On étouffait. Quelle pagaille. Les lèvres de Zoé teintées bordeaux tremblaient :

-Réveille-le ! Dis ? Max, fait vite !

Pendant que je cherchais ses battements de cœur, elle m’harcelait de questions et le couvrait de caresses.

-T’es docteur ? Tu vas y arriver ! Max… ! Ses larmes inondaient ses petites joues bombées de hoquets. Sniff !

-Grrrrrrr ! Tu me déconcentres ! Je pensais : c’est peut-être mon premier vrai mort ?  Le sang séché marquait son poignet droit à côté d’un petit couteau.

-Aide-moi au lieu de chouiner ! Soulève ses jambes ! Il est juste évanoui ! Effectivement, après quelques tapes sur son visage de ses quatorze ans bien sonnés, Zet se réveilla, surpris de me voir.

Que s’était-il passé ? Ils s’étaient fait un serment unis par le sang, une promesse d’amour, de graver leurs prénoms cachés dans leur poignet. Le couteau a dérapé sur sa peau et à la vue du rouge, plus la chaleur, il s’est écroulé par terre.

A peine remis de ses émotions que Zoé inondait Zet sous une pluie de baisers bien sonores. Soudain, un bruit de mouettes et de bateau les stoppa net. Les yeux des deux gamins s’agrandirent comme des trous béants. Le père Tabouriech arrivait plus tôt que prévu.

-Max, faut pas que Pa tombe sur lui ! On est mort s’il le voit ! Il est capable de le balancer dans l’eau et moi finir au couvent des sœurs Clarisse pour la fin de mes jours !

-Vrai ! il me déteste et ma famille avec ! fit Zet d’une voix aiguë.

Pas de panique, j’allais les aider car je détestais l’injustice. J’avais un plan. Ça pouvait ne pas marcher mais ils étaient d’accord de prendre le risque. Rapidement, pendant que Zoé allait à la rencontre de son père pour l’aider, j’enroulais le garçon dans le filet de pêche dans un coin de la cabane et une couverture verte par-dessus. M’assurant qu’il respirait bien je sortis voir mon oncle. Etonné, il me salua brièvement puis je lui demandais l’autorisation d’utiliser son filet de pêche pour ma pièce de théâtre de fin d’année. Un silence se fit. Léa était scotchée et figée, attendant la réponse.

-Oui tu peux ! Mais ramène le plus vite que l’autre fois ! Je vais te le chercher.

-Non ! Ne t’inquiètes pas je me débrouille ! Je sais où il est.

Il me regarda de ses yeux plissés puis fit un geste de la main en signifiant « sers-toi ». C’est là que Léa devait l’occuper en l’aidant à décharger les casiers d’huitres. Fissa, j’attrapais le filet comme un baluchon sur l’épaule avec Zet caché dedans. Recouvert de vert on aurait dit un nem entouré d’une feuille de salade. Par chance, le garçon d’à peine treize ans pesait un poids plume. Déposé illico presto sur la banquette arrière je démarrais sans perdre de temps.

Ce n’est qu’une heure plus tard que Zoé nous rejoignit dans la grande maison vide du jeune homme.

Cette aventure rocambolesque restera gravée dans ma mémoire. Ah ces jeunes fous !

-Ah ! Soupire Léa. Juste une promesse alors.

-Et je te fournis le stylo plus mon numéro de portable. Toujours prêt pour te rendre service !

2 commentaires

  • Mijo

    Sement d’amour de l’adolescence, combien se sont scarifiés des initiales aux poignets, aux chevilles? Moi je préférais graver les rochers du bord de mer, trop douillette je suis 🙂
    J’ai aimé la complicité qui unit grand-père et petite fille. Tu as su rendre cette tendre harmonie entre tes personnages. Bravo

    • marie-christine-legrand

      Merci Marie-Josée d’être venue lire cette nouvelle pour ado. Cette pratique utilisée pour sceller un serment d’amour est assez peu commune mais à l’heure où le numérique est omniprésent, j’ai voulu marquer une différence bien nette.
      A bientôt et encore merci de ta venue.

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