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Poursuite impitoyable

Temps de lecture : 4 minutes

     Au volant de sa voiture, la radio diffuse  une musique de Gershwin, Sophie fredonne sourire aux lèvres en  traversant la forêt d’Ecouves. Elle a hâte de retrouver son amoureux Antoine, ils  ne se sont pas vus depuis une semaine où elle a participé à un colloque à Montréal  sur la Bioéthique hyper intéressant. Elle tente de le joindre par téléphone mais tombe direct sur sa messagerie. Une inquiétude l’envahit depuis peu, c’est bizarre qu’il ne réponde pas. La nuit tombe rapidement en cette fin d’octobre et avec lui ce brouillard enveloppant la cime des sapins et des chênes centenaires tel un nuage cotonneux.

     Il n’y a pas foule dans cette partie du centre de la forêt juste un autre véhicule roulant avec ces feux de position à la même allure.  Mais qu’importe elle n’a plus qu’une quinzaine de kilomètres à parcourir pour se lover dans les bras de son chéri près de la cheminée.

-« Je vais prendre le raccourci par la route forestière. » Dit-elle à haute voix rompant ainsi un silence oppressant.

     Un coup d’œil à la jauge d’essence, elle n’est pas encore dans le rouge. Rassurée de ce côté là, mais pas au son de la messagerie d’Antoine qui s’enclenche pour la troisième fois. La voiture glisse devant La Croix de Medavy, où stagne silencieusement le Char Sherman Le Valois pointant son canon face à la route près à tirer. Sophie s’engage à gauche sur le chemin forestier dans un état tourmenté. Soudain surgit du fond des bois un sanglier ou une masse y rapprochant.  D’un geste brusque sur le volant, elle l’évite de justesse  finissant sa course dans le fossé.

      Sa voiture crème s’immobilise face au talus les deux roues avants dans le fossé.  La projection du choc contre le volant lui a coupé le souffle. Il reste un seul phare allumé empêchant l’angoisse du noir total . Au loin le hululement d’une chouette lui glace le sang et des picotements glacés parcourent son dos.  Reprenant ses esprits, elle se palpe le corps : rien de cassé ! Cherchant  des yeux son portable, précieux lien avec l’extérieur, son regard suit ses pieds où sous les petits cristaux de verres éparpillés elle discerne l’écran noir fêlé de son IPhone. Un Ho, d’effroi : la situation lui échapperait-elle ? Sortir de la voiture au plus vite et tout abandonner  dernière elle est la seule solution. C’est à ce moment, que la seule voiture entraperçut quelques minutes plus tôt, glisse doucement vers elle, faisant crisser les gravillons sous ses roues, rompant ainsi le silence pesant . Elle s’est immobilisée à une vingtaine de mètres. Sophie distingue à travers le pare-brise la silhouette du conducteur chapeau Fédora enfoncé  sur la tête,  à l’affût.

-« Hey, vous pouvez m’aider ! » crie-t-elle  agitant les bras dans un geste hésitant.

      Puis le doute  commence à insinuer son esprit : a-t-elle bien fait d’interpeler cet individu ? Elle est là au milieu du chemin forestier, sa voiture piquant du nez dans le fossé, un phare borgne, sur ses talons hauts portant un trench trop léger pour la saison face à cet inconnu figé tel une statue derrière son volant. Il fait sombre, les sapins vous enveloppent tel un insecte prisonnier dans la  toile d’araignée. La portière s’ouvre dans un long grincement. L’’homme au chapeau  n’est pas pressé, il a l’air de faire durer le temps. Trop tard, Sophie livide est comme tétanisée en voyant descendre doucement le long de son bras la tête d’une hache blanche brillant d’un reflet sinistre. 

     L’effroi se lit sur son visage. Je suis tombée de Charybde en Scylla! Pense-t-elle.  En un quart de seconde l’adrénaline s’est diffusée dans son corps à la vitesse de l’éclair, le demi-tour,  tel une toupie, puis le sprint vers les bois à pris de court le tueur. Les stilettos de Sophie ont volé dans les airs, ses pieds martèlent le sol et les aiguilles de pins s’enfoncent dans ses chairs, qu’importe elle court à perdre haleine.  Sa gorge s’assèche, la sueur coule dans son dos, à ce rythme elle ne tiendra pas longtemps pense-t-elle. Son seul secours, c’est le refuge du garde forestier. Les pas lourds et rapides arrivent sur sa droite. Aidé de sa lampe torche, il a réussi à gagner du terrain et veut maintenant lui barrer la route mais les arbustes et futaies le font ralentir. Il  a compris, comme s’il connaissait l’endroit, qu’elle voulait atteindre  la cabane ! Une sueur glacée lui coule le long du visage plaquant ses cheveux longs devant ses yeux, malgré tout elle amorce un virage sur la gauche frôlant de trop près le sapin, son pull s’accroche à l’écorce freinant soudainement sa fuite éperdue. Elle n’a pas le temps de tourner la tête que le sifflement d’un objet tranchant lui rase l’oreille droite en se plantant dans l’arbre à deux millimètres de son visage, elle sent le souffle du tueur et le sang couler sur sa joue.  Son rire sinistre résonne comme l’écho d’un son connu, puis le bruit de ces bottes fond sur elle. 

      Il a à peine le temps de prendre sa hache qu’elle a réagi à la vitesse de l’éclair  laissant son pull accroché au tronc. Survivre voilà ce qu’elle se dit tout en reprenant sa course folle, les poumons en feu. Mon seul espoir : atteindre la rivière, sauter et se laisser dériver jusqu’à la maison et là je serai sauvée ! Derrière elle on entend un grognement de fureur !  Fuir, échapper aux délires de ce malade, on se croirait dans un film d’horreur ! Droit devant à quelques mètres, le clapotis de l’eau sur les cailloux murmurent comme un appel. Allongeant sa foulée, les brindilles craquent sous ses pieds, avec  la précipitation sa cheville s’enchevêtre dans une racine superficielle. Un cri désespéré,  les bras en avant, la hache fendant le vide, Sophie bascule tel un pantin dans la pénombre de la forêt vers le sol parsemé de troncs morts et d’arbres décapités. Comme une lance meurtrière, le pieu effilé lui transperce le thorax sous l’impact de la chute. Face contre terre sous les derniers soubresauts de son corps, un dernier murmure: Antoine…..

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