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PADOUE LA NAISSANCE D’UN AMOUR

Temps de lecture : 4 minutes

Par une soirée ardente, mon cœur fou battait la chamade près de Louis. Et dans l’or du soir naissant, mes yeux brillaient, sous les derniers rayons du soleil couchant, comme les huit dômes byzantins de Saint Antoine de Padoue, sur un ciel zébré par les derniers vols de martinets.

Dans la chaleur de nos corps rapprochés, nous nous étions isolés sur le balcon encore chaud. Face à la basilique, sur le toit de fortune de cette bâtisse bourgeoise transformée en hôpital militaire, nos mains fines et enlacées, irradiaient notre amour bien au-delà des frontières italiennes.

Bien loin des combats, des éclats d’obus, des dégâts des gaz projetés par les austro-hongrois, notre amour n’avait pas de répit. Et malgré l’inconfort de ma tenue blanche d’infirmière de garde, je serai restée la nuit entière près de lui. Le carillon de l’horloge de la tour, dans un dernier rappel, nous libera bien malgré nous de cette étreinte charnelle.

-Louis, il faut redescendre dans ta chambre. Te reposer. C’est demain qu’on te réopère.

Je le sentis soupirer en prenant ses béquilles. Il n’était pas pressé de retourner sur le front. Cette guerre était un vrai désastre.

-Luz, mon amour, j’ai peur ! Tu seras près de moi ?

Ses yeux d’un bleu profond se plissaient et sa tête penchée vers moi me suppliait.

-Oui, évidemment ! Je t’aiderai et t’accompagnerai jusqu’à ton opération. Je serai toujours près de toi.

Me retournant, il ne vit pas la minuscule gouttelette en suspension entre mes cils et ma paupière.

La nuit fut courte et au petit matin naissant dans la chambre inondée d’ocre et de jaune, je l’aidai à sa toilette. Je sentais ses traits contractés. Mais son sourire, sa main douce et chaude dans la mienne se voulaient rassurant. Ou bien était-ce les vapeurs de formol qui le fit plaisanter sur les mystères et les clystères ?

Ce n’est qu’un mois plus tard, sous une douleur à vous couper les chairs en deux, que je fus alitée. Cette douleur au ventre affola mon bien aimé qui se remettait petit à petit de ses blessures. Clopin-clopant, sous les regards amusés des quelques malades restant, il me faisait visite.

-Ma douce Luz, marions-nous ! Avant le vent de la guerre emporte nos chairs meurtries !

Ma main sur son cœur, le lui rendit son baiser ardent et dans un souffle au visage enflammé, je lui murmurais :

-Oui, pour la vie ! Fis-je le visage passionné et possédé par le démon de mon cœur.

Le lendemain, ragaillardit par cette belle promesse, ma douleur évaporée comme par ce beau miracle, je  revêtis ma plus belle robe rapportée d’oxford. Parée de Mousseline beige et gants grège clair, mes cheveux bruns bouclés formaient une corolle autour de mes épaules. Et c’est une Luz exaltée. Une Luz passionnée ! Que l’on vit courir dans le vent du matin naissant, traversant les brumes d’un Padoue encore endormi.

Louis m’attendait sur la place du Patro della Valle. Sa silhouette parée d’un habit bleu se mirait, se mélangeait aux statues bordant le canal circulaire. Liant mes doigts aux siens nous entrèrent solennellement au Duomo. La froideur de la basilique contrastait avec la chaleur de nos deux corps agenouillés. Mêlant nos prières et nos âmes, nous nous unirent pour l’éternité.

Le lendemain, un déchirement de sentiments me fit un coup de poignard dans le cœur. Louis repartit sur le font du nord. Mes pleurs, mes chagrins, mêlés à la vie hospitalière se réunissaient dans mes lettres que je lui dépêchais tous les jours. Mon amour tu me manques tellement que mon cœur et mon corps changent. Chaque soir dans l’attente de nouvelles, je regardais s’éteindre une à une les lumières de l’illustre café Pédrocchi, elles m’entrainaient dans un torrent de pensées noires tumultueuses. Le surlendemain, ce fut une tout autre Luz qui bondit d’allégresse :

-Youpi ! Hourra ! L’armistice est signé ! La Guerre est finie ! Revoir mon Louis !

Je sautais de joie et malgré d’indécence de la situation, mon visage et ceux des blessés illuminaient nos faces meurtries.

Ce fut quelques jours plus tard à la gare de Padoue que je reçue le premier choc, la première blessure de l’âme. Les premiers frissons de plaisir dans les bras de Louis, nos retrouvailles et étreintes, se transformèrent en frissons glacés.  Pétrifiée par l’annonce de sa révélation, ma main sur le ventre je manquais de m’évanouir. Ses mots résonnaient en écho lointains :

-Luz, mon amour, comprend-le ! Je dois retourner aux Etats-Unis, chercher un travail, un foyer pour nous loger et nous marier vraiment cette fois ! Pour  toujours !

-On pourrait attendre quelques mois que je termine ici mes services auprès des blessés ? Et puis cela me laisserait le temps d’….

Ma main sur la bouche, les larmes inondaient mes joues. Mes mots moururent, ravalés comme des secrets enfouis pour ne plus resurgir.  Je courus, toute échevelée, à perdre haleine dans les ruelles d’un Padoue enfiévré. Nous nous retrouvâmes dans ma chambre d’hôpital mais ma blessure ne fut pas pour autant cicatrisée. Il était convenu de nous retrouver à New York dans plusieurs mois.

-Ma Luz ! Ma douce ! Nos souvenirs me feront tenir et dans quelques mois, notre maison t’accueillera ! Je t’attendrais au port et je te montrerai cette belle ville bouillonnante.

-Oh Louis je le souhaite tellement !  

Son départ pour l’Amérique fut pour moi un déchirement. Le choc. Ses correspondances se faisaient de plus en plus rares. Alors, je compensais ses absences aux soins de soldats traumatisés par la guerre. Je m’épuisais. Un jeune officier me prit en affection et me proposa un avenir auprès de lui. C’est ce jour-là, brisée et tourmentée, que je perdis les eaux, le bébé, et que ma dernière lettre pour Louis, mon amour de toujours, me fut retournée.

Dans l’or du soir naissant, mes yeux perdirent leur éclat. 

                                                                                                          ++ & ++

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