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Mortelle réécriture

Temps de lecture : 4 minutes

Méditative, assise au bureau, je regarde la flamme de la bougie vaciller et danser. Son odeur de gardénia emplit la pièce d’une flagrance doucereuse. Elle brule comme cette idée qui me trotte depuis quelques temps.  Elle fait son chemin jusqu’à ma conscience. Est-ce l’actualité du moment, avec toute cette diffusion d’infos terribles sur la pédophilie et l’inceste qui fait resurgir l’écriture de cette nouvelle datant de quelques mois. Est-ce mon âme sensible que veut frapper fort et reprendre le personnage de Cléane pour lui donner toute sa force et son envie de se battre ? Quoi qu’il en soit, parmi toutes celles de mon recueil, avec le recul « Bouffées mortelles » reprend le chemin de ma plume. 

Pause méditative, quelques exercices de respiration contrôlée, et on ne se moque pas ; texte, stylos et STABILO s’offrent en éventail prêts à l’action. Les traits, les ronds, les carrés parsèmeront la feuille aux multiples couleurs. C’est la condition pour une meilleure correction. Le dictaphone en mode « je suis prêt, j’écoute », active prestement son clignotant vert. Top départ, c’est parti pour la lecture et son enregistrement. Chut ! plus un bruit !

 Il s’agit de Cléane, qui depuis presque un an subit les attouchements de son père.  Seule avec sa douleur, décide, la veille de ses onze ans, de passer à l’acte pour le tuer en concoctant un poison mortel.

-Elle a du cran la petite ! Les mots sortent de ma bouche malgré moi en serrant les poings pour l’encourager.

L’étape suivante, je vais me réécouter, pour prendre du recul sur l’histoire et sa rédaction. C’est drôle, ça fait bizarre d’entendre ma voix. Elle est toute fluette comme celle de Cléane.  La deuxième étape, je liste les évènements décisifs ou les actions en donnant un titre à chacun.  Là, j’en note trois dont le contenu nécessite des retouches. On se croirait dans un atelier de couture avec les points, les croix et les ronds en guise de boutonnières. Et Hop ! le fluo rose tire un trait :

-Non ! Pas sur le texte mais sous la ligne. Je parle seule maintenant. Pff, n’importe quoi.

 Donc, chaque partie est identifiée à la marge, la première L’atelier botanique « préparation », la seconde la chambre la souffrance « naissance d’une vengeance », et la dernière le salon « l’acte » et sa chute.

– La chute, c’est un rebondissement. Zut ! je parle de nouveau à voix haute.

 Je reviendrais sur chaque partie. Mais là, l’arme du crime mérite que je m’y consacre une deuxième réflexion. Pourquoi utiliser le poison et non pas une arme tranchante ? L’arme blanche dévoilerait l’évidence du meurtre. C’est hors de question, laisser le moins de trace possible. L’atelier botanique de sa mère avec les plantes vivantes ramenées de différents continents et celles séchées sont prêtes à l’emploi. Ah oui, il faut préciser au lecteur qu’elle a appris à les reconnaitre avec sa mère. Un vrai travail d’enquêteur, il faut penser à tout. Mes méninges bouillonnent. Pas de surchauffe.

Pause. C’est maintenant ou jamais de se servir un bon café, un bien corsé. Ah ! ce poison me donne encore des vertiges ! Du coup, ça me gratte de partout ! Car dans toute la panoplie des herbes toxiques il en faut une qui puisse porter un coup fatal sans laisser de résidu.  Pas question de faire une injection, il n’y en a pas dans la maison- nous sommes à la moitié du 19ème siècle- et la fillette est trop jeune pour l’utiliser.    

C’est là que le célèbre Google rentre en scène, ses données meurtrières écriront le coup fatal. Parmi les toxiques, le ricin avec ses graines marquait mon premier choix mais j’hésite avec la Datura. Les réactions sur le plan cardiaque se ressemblent. Le nom de datura résonne mieux à l’oreille. Je relis les caractéristiques mais non, la poudre de ricin se mariera mieux avec le tabac à pipe. Pff ! on parle de poison et mariage, à croire que j’écris une autre histoire.

Arrête de divaguer ! Il faut avancer, c’est la survie de Cléane qui est en jeu.

Je secoue la tête et « clic » ma voix surgit du dictaphone. L’atelier botanique défile sous mes yeux. Il doit être lumineux. Je vais rajouter « projeter les premiers les rayons du soleil », comme l’espoir de la jeune fille dans la préparation de son projet. Pas question d’échouer. Bon à la lecture rien n’indique que la scène se passe au 19ème ?

Google mon ami, livre moi tes recherches !

C’est opté pour la robe victorienne en dentelle blanche. Je l’insère en forme de bulle dans mon texte après les cheveux d’or. Cette expression fait un peu cucul la praline. Soulignée en jaune, j’inscris sur la feuille de rectification « cheveux blonds ».  Et puis le « elle » qui ne voit rien, sera remplacé par « mère ». Cela indique un statut social en plus.

Des frissons me parcourent les bras à la relecture du passage de la chambre. Là où la souffrance de Cléane va donner naissance à sa vengeance. Il me semble revivre les témoignages des victimes recueillis lors de mes recherches sur internet. C’est un passage noir et sombre que je tente de déplacer en début de texte mais l’effet donne plus dans le passif, le subit plutôt que l’actif. On en reste là. L’idée n’était pas fameuse.

Chamboulée, une action positive devient urgente. Mon Thé des Sources encore fumant dans la main, j’aborde un virage vers (vert comme mon thé) la mise en action du plan final. « Clic » je réécoute le passage du salon. La poudre mortelle doit finir dans la tabatière. Mais elle n’est pas à sa place habituelle ? Je vais rajouter cette idée afin de créer une angoisse supplémentaire. Bien sûr elle aura été déplacée. Cléane va devoir la rechercher ce qui va augmenter le suspense d’un cran.

Il doit absolument fumer la pipe et l’hésitation du père est inenvisageable, j’interviens et je suggère. Tel un film au ralenti je le vois étouffer, rouge pivoine comme le Chesterfield, la face écrasée sous le coussin de mère.

Ma bougie sur mon bureau s’est éteinte comme l’immonde personnage.

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