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Livre , Libri

Temps de lecture : 3 minutes

Des vaguelettes, des courbes, des traits,

filent et viennent rider la surface lisse de l’immaculé papier.

Ma main légère et ferme entraine leurs montées et descentes vers un horizon paré à être dévoilé.

Au commencement, je prends le risque de confier sur la feuille vierge une partie de moi-même.

Puis la pointe de crayon suspendue, mon regard glisse.

Aimanté, il se pose sur ce merveilleux objet appelé LIVRE ou libri.

Il est là, patient tel un cadeau en offrande disposé à être dévoré, absorbé, lu et relu.

C’est mon graal, mon inspiration, il trace mon chemin et ouvre ma voie d’écriture.

Mes yeux amoureux se posent sur lui.

Mes mains l’effleurent, le caressent.

Je l’ouvre, le ferme, je savoure ses formes parfaites aux contours rectangulaires ou carrés.

Epais ou fin, gondolé ou lisse, tel un carré de chocolat, il se laisse désirer par sa saveur, son odeur.

Ses effluves légèrement boisés marquées à l’encre dans son corps, cheminent

vers les forêts résineuses québécoises, celles de Beauchemin.

Mes yeux brillent. Mon imagination s’emballe comme un remue-méninges. J’écris. La main va aussi vite qu’un tgv.

Soudain, je ralentis. Je sens un appel.

Un fil me relie aux mots, aux livres. A côté, ma bibliothèque m’aspire. M’envoute. M’ensorcèle.

Me charme. Hypnotise mes sens qui courent vers elle. Elle est vivante.

Suggestive, elle attire par son imaginaire d’histoires et de récits.

Pourtant, comme un paradoxe elle parait là statique, figée.

Gargantuesque, elle se nourrie de livres qui reposent debout ou couchés sur d’infini lignes plates.

Empilés les uns en dessous des autres, ils ne se mélangent pas. Leurs aventures ne forment pas de méli-mélo, en apparence. Prêts à être consommés. Ils

deviennent l’étoile de tous mes rêves.

Mes yeux se posent sur des Ellory, des Dicker, des Ketchum, des Zola, Balzac

et bien d’autres. Je visualise chacune de leur histoire, unique, retraçant avec plaisir ou appréhension leurs dénouements.

Un délicieux moment où le temps est aboli. Suspendu au fil du récit, tout mon être plonge dans ce flot d’aventures lettrées.

Les yeux brillent d’excitation comme des myriades de soleil sur l’eau.

Une douce vibration m’inonde.

Des friselis cheminent jusqu’à mon ventre. Quel délicieux instant.

Surfant sur les lignes, je sens naitre une première idée.

Une image jaillit laissant entrevoir sur cet océan imaginaire et immatériel, les prémisses d’un début d’histoire.

Les lettres, les A, les C ou autres sonorités de l’alphabet composant sa partition de phrases mélodieuses, enchanteresses, excitent peu à peu mes pensées libérées.

Les lettres me sautent au visage comme des poissons hors de l’eau, absorbées par mon fil d’inspiration.

Elles cheminent et naviguent aisément dans les flots neuronaux.

Elles les chatouillent, les titillent, libérant ainsi ma créativité qui replonge vers la pointe effilée du stylo. Elle accomplit tel un nageur compétiteur

d’infatigables longueurs d’un bout à l’autre du papier.

 Le temps s’égrène. Mon griffonnage s’est stoppé et inconsciemment mon esprit dérive.

Une lueur chaude saute sur mes pupilles et clignote comme le feu rouge.

Une cuisante chaleur serpente sur mon bras. Un son grandissant remonte de mes entrailles comme un volcan prêt à exploser, mais se meure sur ma bouche close.

Mes yeux comme des globules en ébullition fixent et s’immobilisent devant les volutes de fumée se libérant des livres.

Une odeur roussie s’en échappe.

Des flammèches attaquent la culture. Les livres voient rouge, se défendent vaillamment.

La chaleur diablesse prend le dessus, ils se gondolent, se rapetissent sous les flammes avec un cri d’effroi.

Dans un sursaut de défense, Ils libèrent une infime partie de leurs corps, de minuscules bouts de papiers qui s’envolent comme

des papillons vers la liberté.

Le dernier Ray Bradbury s’illumine, s’enflamme puis se consume dans un soupir.

Que s’est-il passé ?

Je reprends mes esprits partis vagabonder hors des frontières du réel. Mes yeux parcourent la pièce. Ils sont encore là intacts. Mon cœur se

serre, une chaleur angoissante me submerge. Que serais-je devenue sans eux, sans leurs floraisons de mots, d’humour, de rire et de suspense.

Sous mes yeux, la flamme d’une bougie renversée a laissé son passage sur la feuille d’écriture griffonnée quelques heures plus tôt.

                                                                                                                                        — & —

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