Nouvelles

L’imprudence de Mowgli

Temps de lecture : 4 minutes

                En ces jours-là, Mowgli, lassé de l’apprentissage de Baloo, décampa en direction du point d’eau des éléphants. Hâte de revoir son ami Hathi,  il avait une idée bien en tête. Ecrasant les grandes fougères, il ruminait sa colère.

-Ce gros balourd de Baloo me fracasse comme une noix sur la tête.

Puis le singeant, il continua son monologue :

-Répète après moi ! Allez répète encore ! Pète toi-même ! Pss !

Tirant la langue, un serpent siffla à son passage.

-Moi je veux jouer avec Bandar-junior ! Et voir les grands pieds debout, comme moi ! Na !

                D’un pas militaire décidé, occultant tous les bons conseils et recommandations appris, il interrompit Hathi en pleine ablution en dérangeant les buffles d’eau et les barasinghas.

-Hé ! Petit d’homme, attention ! Tu as l’air bien colère comme le tonnerre ! Tes yeux flambent comme un feu ardent ! Calme-toi !

Mowgli laissa choir son fondement dans la flaque d’eau, ses pieds dans les empreintes de pas du pachyderme et s’adossa contre la trompe de son ami.

-Petit d’homme, Baloo sait que tu es ici ?

-Non ! Suis colère ! Il m’interdit de jouer avec les Bandar-log, me donne des coups de pattes ! Vois !

D’un œil bienveillant, la caresse de la trompe l’apaisa.

-Je ne crains personne ! Connais tous les maitres mots du peuple de la jungle ! Ecoute ! Psisss ! Siffla-t-il en imitant le serpent d’eau onduler. Puis imitant Hathi, fit un formidable jeté d’eau avec sa bouche dans son immense oreille. S’ébrouant l’éléphant n’apprécia pas du tout. Frappa du pied et sermonna ce chenipan. Mais Mowgli d’une voix aussi douce que le miel des abeilles, lui déclara :

-Hathi, de ta mémoire d’éléphant, apprends-moi les maitres mots de ceux qui marchent debout, les hommes grands.

Un « Ah « de barrissement aigu et des oreilles qui battaient de l’aile, sortit de son corps énervé.

-Mais pourquoi ? Toutes les tribus de la Jungle ne te suffisent plus ? Connais-tu tout d’elles ?

-Non….

-Alors pourquoi cette soudaine demande ?

-Mais si je tombe un jour sur « grand pied debout », comment je vais lui parler ? En cri ? En sautant ? Dis ?

-Non certes. Mais éloigne-toi des hommes et observe les d’abord. Je vais te transmettre ce que j’ai appris jadis avec eux.

Marchant côte à côte, ils traversèrent une plantation de figuiers sous les cris des perruches vertes. Mowgli, calme, but les paroles magiques et déploya ses oreilles pour mieux capter les conseils du sage. A mesure que le temps passait la concentration du jeune filait et courait ailleurs. La curiosité rampait dans son crâne. D’un bond, il sauta sur l’éléphant surpris. Un deuxième bond, attrapa une liane et dit :

-Grand merci sage Hathi. Demain tu me donneras la deuxième leçon.

Puis fila d’un salut au sommet des cèdres. L’autre surpris en resta baba. Il n’aimait pas ce soudain changement de cap. Mowgli, lui était fier du « savoir appris » et fila vers l’orée de la forêt avec détermination. Comme « pied qui ne fait pas de bruit « il se glissa derrière un grand teck et observa le camp des hommes. Ils avaient installé un bivouac pour la nuit. Un feu se reflétait sur les grandes cages de bambous posées çà et là projetant des ombres maléfiques. Des sons inconnus flottaient dans l’air. Au moment où il posa son pied devant pour mieux écouter, un « crac » retentit et déclencha le piège. Suspendu comme un singe, le filet de cordes referma ses mailles sur le corps de l’imprudent.  Affolé, entravé, petit d’homme dans un tonnerre de cris gesticula jusqu’à épuisement. Une ombre surgit :

-Tiens qu’avons-nous là ?

  Fit l’homme blanc au chapeau,  sanglé de couteaux et fusil.

-Un curieux ! Voyons voir !

Petit d’homme privé de liberté se débattait comme un diable pris dans les flammes. Puis il tenta un signe d’apaisement qu’il avait appris avec Hathi, en allongeant sa main un mot étrange sortit de sa bouche :

-Monsieur… ! Ami ! Paix !

-Ah ! fit l’autre. Un singe qui parle !  Toi tu es bon pour la caravane du cirque. Ta vente me rapportera gros !

 Lui tournant le dos, il lança ses ordres. Des braconniers, ça ne faisait aucun doute. Mowgli côtoya pour la première fois des hommes sans foi ni loi. Ceux-là ne jouaient pas, ne riaient pas contrairement à ses amis singes que Baloo appelait sans loi.

Malmené par des brutes sauvages, jeté dans une cage, ses cris, ses appels au peuple de la jungle, rien ne vint le délivrer. Le silence était grand. Seul, il s’était jeté dans la gueule du loup. En pelote dans sa prison, une larme brilla sur sa joue. Les ténèbres enveloppèrent la noirceur de ses pensées. Baloo avait raison, j’ai encore à apprendre. Je croyais tout savoir de la jungle mais c’est faux. Et Hathi aussi m’avait prévenu de me tenir loin des hommes. J’ai transgressé les lois et les règles ». Pensa-t-il.  L’imprudence l’avait rattrapé. Fatigué, ses yeux se fermèrent sur les projets d’évasion.

Dans le calme de la nuit chaude, une ombre fila de sals en sals. Elle se glissa de cages en cages, atterrie sans bruit au-dessus de petit d’homme. Ses yeux mi-clos, alertés, s’ouvrirent. Heureux, il reconnut son ami Bandar-junior. D’un « chut », d’un objet coupant volé au passage, le singe le délivra prestement de sa prison. Libre ! Tous les deux furent rejoints par les singes gris et filèrent dans les profondeurs de la jungle tel le vol silencieux de Mang la Chauve-Souris.

Un peu plus tard, Mowgli affronta le courroux de Baloo et le dur regard de Bagheera. Il reçut un tonnerre de colère. D’une voix mesurée, sous le regard de son sauveur perché dans les arbres, dit :

-Grand ours, j’ai été imprudent ! Oui ! Mais vois comment Bandar-junior m’a délivré au péril de sa vie ! Diras-tu toujours qu’ils sont sans loi ! J’ai muri cette nuit et j’ai encore à apprendre avec toi. La jungle est ma seule famille.

Baloo, Bagheera, Mowgli et les Bandar-log firent ce soir-là un grand festin de noix de coco en dansant au son des tam-tams.

                                                                                                                                                     –§–

2 commentaires

  • Mijo (Marie-Josée)

    J’ai bien aimé cette leçon avec une revisite d’un classique des histoires enfantines. Il en faut vraiment peu pour être heureux 🙂

    • marie-christine-legrand

      Merci Marie-Josée pour ton commentaire. En le lisant je me suis mise à fredonner la chanson du film « il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux. Il faut se satisfaire du nécessaire…. » de Jean Stout et Pascal Bressy.
      A bientôt sur ton blog !
      Marie Christine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *