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LEON

Temps de lecture : 4 minutes

Son pas énergique, sa belle foulée parée de chaussures cirées se remarquèrent. Sous le soleil de juillet, Léon, vingt-quatre printemps, attaqua la grande traversée de Beaufay, son village natal. De chaque côté de la rue principale, le marché du samedi s’animait de jupes longues,  paniers d’osier, de sabots piétinant le sol devant les étals colorés de fruits, légumes et volailles caquetantes.

De grande taille et bien bâtit, d’une musculature travaillée par les travaux des champs, Léon surprenait, sapé comme jamais, sous le regard des villageois venus faire leurs emplettes. En effet, son habit de belle coupure, pantalon et veste de drap bleu-nuit sublimaient le hale ovale de son visage rayonnant. Une légère brise, caressait l’onde crantée de sa tignasse aussi sombre que son costume. D’humeur joyeuse, il rayonnait, encore plus que d’habitude, rien qu’à regarder ses yeux, comme des cristaux de lumière émeraude et or illuminant sa personne. Euphorique, Il avait hâte d’arriver à sa destination, pour laquelle il avait peaufiné maintes et maintes fois son scénario.

Un salut rapide de sa main gauche à Hector et Gaston (pas celle de droite qui aurait laissé entrevoir les traces de son handicap de guerre) qui sirotaient assis au café et surpris de le voir filer sans s’arrêter. Les jours de marché, ils trinquaient ensemble le ballon de blanc à la terrasse du troquet St Jean.

 – Hé Léon, on t’attend ! T’es pressé ou quoi ?

-Les gars, aujourd’hui pas de blanc ! J’ai une affaire urgente à entreprendre.

-Mais qu’est ce qui est plus urgent qu’un p’tit blanc ? A part une fille !

D’un clin d’œil qui fit remonter sa brune moustache épointée, Il continua sa traversée vers la sortie du village fleuri d’azalées.

Ses rêveries tournicotaient vers la belle rencontrée quelques mois plus tôt. Comment lui formuler le désir ardent et le souhait qui lui trottait dans la tête ? C’était la première fois qu’une telle situation lui était tombée dessus. Il se faisait gaillard devant les copains, héroïque sur le champ de bataille mais tout timide devant une jeune fille. Et quelle jeune fille ? Un garçon manqué.

Ses réflexions galopèrent vers le jour de sa première rencontre, tout à fait fortuite et surprenante. Elle avait surgi du virage avec sa pétrolette comme une furie. Pantalon bouffant, coupe au carré à la Louise Brooks, veste de cuir noir, lunette noire, elle pétaradait dans les rues du Beaufay bien tranquille. Grisée certainement par la vitesse, elle l’évita de justesse en criant :

-Hé ! Vous pouvez pas faire attention ! J’ai failli vous renverser et moi avec, bougre d’âne !

 Depuis, ils s’étaient revus. Elle s’appelait Marthe. Ils plaisantaient et se brocardaient sur leur insolite première rencontre. Un lien commun d’amitié s’était tissé. Le 14 juillet était arrivé à grand pas et il s’était risqué à l’inviter au bal. A la voir faire des pirouettes d’allégresse, il en fut tout ému. Ils avaient dansé toute la nuit sous les feux d’artifice. Léon peinait à suivre le rythme endiablé des valses, Polka et autres Cha Cha Cha dans lequel Marthe l’entrainait. Elle menait la danse et lui ne brillait pas par sa souplesse. Piètre danseur ce Léon, mais ils avaient beaucoup ri. Depuis cette nuit-là, les étoiles scintillaient dans les yeux de Léon, sa pensée imprimait des cœurs vers l’élu de son cœur.

Ça faisait plus d’une semaine de cela, et il en pinçait pour elle à n’en plus dormir. Sa décision était prise, il allait lui demander sa main. Il avait même eu droit, la veille, à la bénédiction de sa mère qui lui avait dit :

-Mon garçon, c’est maintenant ou jamais ! Va ! Tu es un rescapé de la grande guerre, il est temps de fonder une famille avant qu’une autre nous tombe dessus !

-Bien vrai Man !

Flottant comme sur un petit nuage, il se surprit à parler tout haut. D’un regard en arrière, il fit un ouf de soulagement en voyant le marché loin derrière. Il ralentit ses pas.  La fin du parcours approchait. Le doute l’assaillit et ce n’était pas le moment de faire son timide. Marthe, c’est elle qu’il voulait épouser et pas une autre.

Chassant d’un revers de main ses doutes, le visage de Marthe souriant et espiègle lui apparut comme une évidence, un espoir. Sa marche reprit vers une douce euphorie.

Le portail bleu orné de lettres dorées indiquait « la maison du bonheur ». Un bonheur tout trouvé ! Il fit tinter la cloche qui raisonna dans son cœur.  L’attente dura. La porte d’entrée s’ouvrit enfin et la mère de la jeune fille l’accueillit avec un sourire.

-Ah Léon bienvenue ! Marthe arrive. Elle a tellement de choses à préparer.

-Ah ? Dit-il surpris.

Marthe déboula toute excitée, ses joues aussi roses que des pivoines.

-Léon ! Tu tombes bien ! dit-elle en le serrant dans ses bras.

Il reprenait espoir et au moment où sa déclaration voulut franchir la barrière de sa bouche… Marthe dit :

-Tu sais quoi Léon ? Je pars dans un mois en mission en Afrique. Ils ont besoin de jeunes infirmières. Mon dossier est accepté ! Pour deux ans !

C’est comme si un obus lui était tombé sur la tronche. Livide, les bras ballants, le regard voilé de larmes, il prononça la gorge serrée :

-Mais… nous ?

-T’inquiète pas, ça va aller là-bas. On s’écrira. Deux ans, c’est vite passé ! Dit-elle en l’enserrant dans ses bras.

Dépité mais sans vouloir le faire paraitre à celle qui serait l’élu de son cœur, il l’enlaça, imprimant en lui, la douce chaleur de son corps.

                                                                                                                       — & —

Portrait de Léon selon sa petite fille.

2 commentaires

  • Mijo (Marie-Josée)

    Hello Marie-Christine,
    excellent. J’aime la construction, le ton, le vocabulaire ( j’ai retenu se brocarder), la fluidité de ton écriture et la chute qui fait dire au lecteur: « Oh zut! Et après? » Tu tiens là un incipit pour une plus longue histoire.

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