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Le Chêne et le Roseau

Temps de lecture : 4 minutes

« Hé !  Roseau réveille-toi ! « 

–Hum ? Quoi ? Quel est cette voix de ténor qui me claironne si tôt ?

–Ben ? C’est moi ! Le grand vert feuillu ! Tu sais celui qui te fait de l’ombre !

–Ah ?! Chêne, j’ai mal dormi ! J’ai le cylindre qui tourne encore !

–Tu m’étonnes ! T’es tout abattu et tu piques encore du nez.

–J’ai passé une mauvaise nuit.

–Ah ! Pour ça, oui ! Tu t’es balloté dans tous les sens. J’ai même cru que tu allais partir sans me dire au revoir ! Ça se fait pas !

–Mais… c’est le vent ! Il n’arrêtait pas de jouer avec mon corps !

–Turlututu ! Ah ! Non ! Pas de ça ! C’est trop facile d’accuser Dame Nature. Ta minceur peut à peine supporter le moindre roitelet. A la limite, une jolie demoiselle ! Heu, encore, je suis généreux !

–Hum !  Des petites bêtes à bon Dieu, aussi, Grand Chêne ? Et ça porte bonheur en plus ! Regard, je bruisse pour les faire venir !  

–Ah ! à la limite, oui ! Tu me fais rire !  Mais tu verrais ta tête quand le vent arrive, vient rider la surface de la rivière au grand galop. Je te vois virer au noir. Tu plis en arrière pour fuir. Lui te rabaisse comme une crêpe, le bout du nez dans l’eau.

– Pas drôle !

–Regarde-moi ! Regarde la générosité de ma verdure ! Regarde la pleine ampleur de mes bras protecteurs ! Je fais front à tous les éléments comme les chaines du Grand Caucase ! Je fais barrière avec ma forme aux brulants rayons du soleil. Hein ? Qu’as-tu à répondre à cela ?

–Ben ! fichtre si tu n’étais pas là…

–Eh bien oui ! Je brave l’effort de la tempête ! Elle caresse juste mes ramures. Se faufile dans ma large parure. Me Chatouille ! Fait même chanter mes feuilles si ça lui plait ! Concert gratuit pour tout le monde ! Et toc ! A moi, tout me semble zéphyr ! Quant à toi…

–Et à moi tout me semble aquilon ! Je sais !

–Ah tu connais la chanson ! Bigre ! Mais n’empêche, si tu naissais à l’abri de mon feuillage dont je couvre le voisinage, tu n’aurais pas à souffrir ! Tu me fais peine à voir petit arbrisseau.

–Non, moi c’est roseau. R o s e a u.

–A la bonne heure ! Pas de finasserie avec les mots. De là-haut, tu parais nain, fragile, et tout chagrin. Tiens pas plus tard que l’autre jour, le tonnerre lançait ses zébrures dans tous les sens. T’as viré au blanc direct ! Je t’avais jamais vu de cette couleur ! J’ai tenté de t’avertir ! Mais la tempête a soufflé mes cris !

–Sapristi ! oui ! Et j’ai eu peur de toi à ce moment-là. Toi aussi tu ressemblais à un squelette sorti d’outre-tombe. Tu es tellement imposant.  J’ai eu des frissons d’effroi ! Tiens regarde mes feuilles tremblent pour toi.

–Outre-tombe, outre-tombe ! Diantre ! De ma vue, c’est toi qui a un pied à moitié dans la terre et l’autre dans le marais. T’es assis entre deux chaises mon bonhomme ! Naître sur des bords humides !

– Oui, oui, c’est vrai, j’en conviens. Des bords humides qui abritent une vie intense. 

– « Une vie fuyante ! Plutôt ! Pfft ! »

–Hé…bien des poissons, batraciens et crustacés aiment y séjourner entre mes pieds, pardi ! Ils y pondent même leurs œufs. Et la pluie, à la bonne heure ! Quand elle arrive…

–Allons donc ! Quand elle te parait bienfaitrice, tu jubiles le nez pointu bien haut, touchant les gouttes en les gobant comme des mouches ! Mais quand elle enfle le ruisseau ? C’est enfer et damnation ! Tu patauges les pieds dedans au son de Ploc-Ploc sinistre !

– « Oh ! Mais je m’en accommode cher ami. »

–Et pardi, tes épis, sous les flots grandissant, dérivent comme des flotteurs perdus sans amarres. Tu en mènes pas large ! Non, je te le dis, la nature envers toi me semble bien injuste !

–Et tu m’as réveillé pour me dire ça ! Ta compassion me touche et part d’un bon naturel ! Mais ne te fais pas de soucis ! Le vent me parait naturel. Je l’aime bien. Il virevolte. Joue avec mon corps, le fait chanter au gré de sa force. Je l’accompagne. Je danse et plie avec lui tel un tango el paso.  Mais je ne romps jamais !

–Juste Ciel ! Attends de voir le déchainement des prochaines tempêtes ! Je me signerais à la perte de mon arbrisseau.

–Sapristi ! Non ! Pas de ça !  Je redoute, plus pour toi Chêne ! Les vents te sont moins favorables. Tu te souviens à la saison sans feuilles où Aquilon t’avait soufflé un bras ?

–A la bonne heure ! Il a déjà commencé sa régénérescence. Tiens, regarde !

–Patience, patience ! Résiste ! Car je vois le bout de l’horizon chargé de sombres menaces. Le plus terrible vent du nord accourt au galop ! Ses flancs enflent ! Son souffle rugit !  Des feuilles, des bois volent. Eraflent ma tête. Aie !

–Craac !

–Grrrr ! J’tiens bon roseau ! Regarde, je lui barre la route de mon corps branchu et robuste ! Passe ton chemin gros malin…….

–Braoum !

–Je ne te vois presque plus chêne, la tempête me plie ! J’entends de sinistres bruits ?

–Houhou ! Scraaatch !

–Chêne ? T’es là ?

–…….

–Le jour se lève. Le vent a fini sa course à cent lieues de là. J’ai morflé mais je ne te vois plus Grand ? Oh !!!! Quelle posture ! Attends je fais un pont vers toi.

–Aie…. J’ai mal ! Pas la peine, petit arbrisseau. C’est trop tard ! Je me meurs ! Moi qui touchait les cieux, je touche les morts ! Ah ! je souffre !  Mes racines exposées aux yeux de tous ! La fin est proche ….Ah… !

–Mais…qu’as-tu sur le tronc ?  Une drôle de croix rouge ? Bizarre ! Elle n’était pas là hier ! Des hommes arrivent ? Que font-ils là ?

–Wrizzz ! Wrizzz !

–Ho ! Sacrebleu ! Quel drôle d’engin !  Pauvre Chêne ! Adieu ! Toi si grand, si beau, si fort ! Dame nature en a décidé autrement ! Et les hommes également !

–Zzz ! Zzz !

–Mais, quel drôle de bruit ? Oh ! son tronc se désagrège ! Ça se transforme ? Un nuage sombre ? Les hommes s’affolent !

–Bzz ! Bzz ! Hé roseau ! c’est moi ! Chêne ! Bzz ! Bzz ! Regarde, j’suis pas mort ! Juste transformé !

–Tu es devenu…

–Oui… Bourdon ! Allez bon vent roseau !

                                                                                                                            –§–

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