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Bouffées mortelles

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. Ce soir, je le tue. Je n’en peux plus ! Il n’arrêtera jamais. Et elle qui ne voit rien !

Marmonnant, lèvres pincées à me faire mal, sourcils froncés, indifférente au jour qui se lève dans l’atelier botanique où plantes et fleurs embaument l’air, j’écrase, broie et pilonne avec rage les sublimes graines de ricin séchées à l’odeur noisette.

Mes cheveux d’or collent au visage, le doute m’envahit. Non, la veille de mes onze ans, je ne peux pas échouer. C’est écrit dans le guide des plantes ; poudre de ricin inhalée : effet mortel, rapide, par suffocation et arrêt cardiaque.

Hier soir, il est encore venu. Depuis un an que ça dure. Ses effleurements dans la journée ne lui suffisent plus. Il attend que mère dorme sous l’effet de somnifères, et entre doucement dans mon refuge de la nuit. Son haleine chargée de tabac froid, ses paroles susurrées à mon oreille puis ses attouchements de plus en plus intimes me font vomir. Que ça cesse !

J’entre à pas feutrés dans le boudoir du salon. A peine la poudre meurtrière versée dans la tabatière, qu’un frôlement venu de la porte me fait sursauter. Le chat ! Soulagée, mes tremblements se calment.

La longue attente jusqu’au soir m’angoisse d’autant que j’ai la sensation d’être épiée. Enfin arrive son rituel vespéral, il s’assied dans le Chesterfield. Là, hésite entre la cigarette ou la pipe ! La boule au ventre, mon coeur cogne. N’oublie pas ton but Cléane, il doit mourir !

. Papa, j’aime l’odeur noisette de ton tabac à pipe, tu veux que je la prépare ?

. Non, j’hésitais, mais pour te faire plaisir ce sera la pipe. Son regard concupiscent me fige comme l’ambiance. Près de la cheminée, celui de mère est posé sur nous. Ma poudre funeste mélangée à son tabac envahit l’air de volutes sucrées. Il aspire goulument de ses lèvres charnues les précieuses bouffées,  yeux mi-clos et  jambes croisées,  dans toute sa suffisance.

Enfin ! Les yeux exorbités, la main sur son cou, il ressent les premiers signes d’étouffement. Les spasmes le secouent, son corps tombe sur le divan. Dans une supplique rauque, sa bouche gobe l’air désespérément. Mon regard est tétanisé !  Lentement, mère armée d’un coussin finit le travail en le plaquant sur son monstrueux visage.

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